Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 754

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Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 271-272).
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754. — À M. PITOT[1].
Ce 29 mai.

Cet ouvrage[2] n’est guère fait que pour ceux qui n’ont ni science ni préjugés. J’y parle de choses bien connues, comme des premiers principes de la vision ; mais il faut être populaire. Je ne suis pas venu pour les sages, mais pour le peuple ignorant dont j’ai l’honneur d’être.

Vous verrez, au chapitre vi, que je soutiens que nous apprenons à voir, comme à parler et à lire. Si l’ouvrage n’était pas déjà trop long, j’ajouterais le problème de catoptrique jusqu’ici indéchiffrable, dont je vous ai parlé.

Soit l’objet A placé à environ un pied d’un miroir concave, soit son angle d’incidence A B C, soit le cathète D F, par toutes les règles on devrait voir l’objet au point de réunion du cathète et du rayon réfléchi B C ; mais le cathète et la ligne de réflexion B C ne se réunissent qu’à une distance très-grande, et l’œil, placé en K, voit l’objet de très-près. Par une autre règle fondamentale, plus les rayons arrivent convergents à l’œil, plus l’objet doit paraître éloigné. Or ils arrivent plus convergents en I qu’en K, et en H qu’en I. Cependant, reculant l’œil en I, vous voyez l’objet plus près qu’en K, et l’œil place en G voit l’objet encore plus près, et, qui pis est, le voit plus gros. Voilà la difficulté qui fait dire a Taquet qu’il est prèt d’abandonner les principes d’optique. Volà ce que Barrow lui-même a jugé insoluble. Mais voilà ce qui se conçoit très-bien dans les principes du docteur Berkeley. Ces principes se réduisent à joindre l’expérience aux règles : nous ne jugeons de la grosseur et de la distance que par une longue expérience. Nous sommes accoutumés à voir confus et gros les objets trop approchés de nos yeux. L’objet, en ce cas-ci, nous paraît d’autant plus confus qu’il nous paraît gros, et alors nous le jugeons plus près. Voilà probablement tout le mystère, il y entre aussi, je crois, un peu d’ouverture de la prunelle et de changement de figure dans le cristallin. Je crois que c’est la seule manière d’expliquer le phénomène de l’apparence du soleil à l’horizon : nous le voyons plus faible, d’une manière plus confuse, et nous le jugeons plus gros ; mais je n’ai point voulu entrer dans ces détails ; je n’en dis déjà que trop, et j’en suis honteux.

Venons, je vous prie, à l’obliquité de l’écliptique. Je ne doute pas qu’elle ne diminue, mais je dis qu’en ce cas les méridiens doivent changer. Je dis que si l’équateur s’est approché de l’écliptique, il doit être midi à Sainte-Pétrone, au solstice d’été, plus tôt de cinquante-cinq secondes que quand la méridienne fut tracée ; et je ne sais si cette aberration du soleil n’a pas besoin d’être corrigée par une nouvelle méridienne. J’oserais vous supplier de m’en instruire, si je ne craignais d’abuser de votre temps.

Je suis, avec toute l’estime que vous méritez, monsieur, etc.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Les Éléments de la Philosophie de Newton.