Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 803

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Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 361).
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803. — À M. THIERIOT.
À Cirey, le 21 décembre.

Je réponds en hâte, mon cher ami, à votre lettre du 18, touchant l’article qui concerne mes nièces. Vous mandez à Mme du Châtelet que vous pensez que je veux faire plus de bien à ce gentilhomme que je propose qu’à ma nièce même. Je crois en faire beaucoup à tous les deux ; et je crois en faire à moi-même, en vivant avec une personne à qui le sang et l’amitié m’unissent, qui a des talents, et dont l’esprit me plaît beaucoup. Je trouve de plus une charge très-honnête, convenable à un gentilhomme, et, qui plus est, lucrative, que ma nièce pourrait acheter, et qui lui appartiendrait en propre. Je connais moins la cadette que l’aînée ; mais quand il s’agira d’établir cette cadette, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir. Si ma nièce aînée était contente de sa campagne, et qu’elle voulût avoir un jour sa sœur auprès d’elle ; si cette sœur aimait mieux être dame de château que citadine de Paris malaisée, je trouverais bien à la marier dans notre petit paradis terrestre. Au bout du compte, je n’ai réellement de famille qu’elles ; je serai très-aise de me les attacher. Il faut songer qu’on devient vieux, infirme, et qu’alors il est doux de retrouver des parents attachés par la reconnaissance. Si elles se marient à des bourgeois de Paris, serviteur très-humble ; elles sont perdues pour moi. Vieillir fille est un piètre état. Les princesses du sang ont bien de la peine à soutenir cet état contre nature. Nous sommes nés pour avoir des enfants. Il n’y a que quelques fous de philosophes, du nombre desquels nous sommes, à qui il soit décent de se sauver de la règle générale. Je peux vous assurer enfin que je compte faire le bonheur de Mme Mignot, mais il faut qu’elle le veuille ; et vous, qui êtes fait pour le bonheur des autres, c’est votre métier de contribuer au sien.

Faites ma cour, mon cher ami, à Pollion, à Polymnie, à Orphée. Je vous embrasse tendrement.