Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 1001
Madame,
Je reconnais votre zèle pour vos amis dans la lettre que je viens d’avoir l’honneur de recevoir de vous, et quoique j’en sois extrêmement édifié je n’avais pas besoin de cette émulation pour m’intéresser, comme je le dois, à M. de Voltaire, au sujet de l’indigne libelle qu’on vient de répandre contre lui sous le titre de Lettre d’un jeune avocat.
Lorsque le Preservatif parut, j’en fus scandalisé, et mon amitié futParis, le 31 décembre 1738.
Ne trouvez-vous pas qu’il est fort agréable pour moi d’avoir édifié Thieriot par mon zèle, et qu’il s’intéresse à M. de Voltaire par émulation pour moi ?
vivement émue et alarmée de voir attribuer à M. de Voltaire ce libelle, dont je le tiens entièrement incapable. L’auteur de ce premier écrit y avait inséré le fragment d’une lettre de M. de Voltaire à M. le marquis Maffei[2], dans laquelle j’étais cité comme témoin d’un fait arrivé à la Rivière-Bourdet, chez feu M. le président de Bernières, vers 1724 ou 23. J’ai essuyé beaucoup de questions sur la vérité de ce fait, et voici quelle a été ma réponse : que je me souvenais simplement du fait, mais que pour les circonstances, elles m’étaient si peu restées dans la mémoire que je ne pouvais en rendre aucun compte ; et cela n’est pas extraordinaire après tant d’années.
De là, l’auteur de la Lettre d’un avocat a pris occasion d’avancer et de me faire dire que je ne savais ce que c’était, et d’en conclure que le fait était imaginaire. C’est ainsi qu’il a abusé d’une réponse générale et très-sincère ; et c’est ainsi qu’il a mérité le démenti de ses impostures et le mépris que je fais de ses éloges.
Tout l’éclaircissement que je puis donc vous donner, madame, c’est qu’il fut question à la Rivière-Bourdet, en ces temps-là, d’un écrit contre M. de Voltaire, qui, autant que je puis m’en souvenir, était en un cahier de 40 à 50 pages. L’abbé Desfontaines me le fit voir, et je l’engageai à le supprimer.
Quant à la date et au titre de cet écrit (circonstances très-importantes au fait), je proteste en honneur que je ne m’en souviens pas, non plus que des autres.
Telles sont toutes mes notions là-dessus, et c’est en quoi consiste labien question de ce qui l’édifie ou de ce qui le scandalise. Ce qui me scandalise fort, moi, c’est qu’il laisse entendre par là qu’il soupçonne M. de Voltaire du Préservatif.
Il convient bien à Thieriot d’oublier les circonstances qui regardent M. de Voltaire. Il sentait bien d’ailleurs que les questions qu’on lui faisait étaient malicieuses, et sa réponse l’est assurément davantage.
L’auteur de la Lettre d’un jeune avocat ! Il est le seul qui ne le connaisse pas, et qui n’ose pas le nommer.
Cette réponse très-sincère est pourtant fausse par ce qui suit.
On sent qu’il voudrait faire croire qu’il ignorait le nom de l’auteur de ce libelle. Il fut question d’un libelle… l’abbé Desfontaines me le fit voir, comme s’il n’osait dire que l’abbé Desfontaines était l’auteur de ce libelle, et que lui Thieriot, indigné de son ingratitude, le lui fit jeter au feu.
Mes sentiments seront toujours les mêmes. La constance est dans mon caractère, comme la probité, le désintéressement, le goût des arts, sont dans ma philosophie. Ce sont les titres de l’estime que m’accordent tous les honnêtes gens, et je suis plus flatté de les mériter que d’en être loué, comme l’a prétendu l’auteur de cet infâme écrit ; écrit qui mérite la punition la plus sévère, et dont je suis d’autant plus indigné que je déteste en général tous les libelles, tels qu’ils puissent être, comme aussi inuisibles à la considération des lettres que la saine critique est utile à leurs progrès.
Je suis, en vous souhaitant une heureuse année, avec beaucoup de respect, madame, votre, etc.
Il fait là un étalage de son amitié pour M. de Voltaire et des obligations que M. de Voltaire doit lui avoir de l’avoir gardé pendant sa petite vérole, mais il ne dit pas un mot de celles qu’il a à M. de Voltaire. Il fait plus : il a été jusqu’à les nier, et il a fallu les lui prouver.
Il est bien question de son caractère et de ce qu’il hait ou de ce qu’il aime ! Il prend là un petit air de magistrat qui lui sied tout à fait bien.
- ↑ Mémoires sur Voltaire par Longchamp et Wagnière, 1826, tome II, page 431.
- ↑ Voyez tome XXII, page 386.
- ↑ Lettre de décembre 1723, où l’on trouve ce passage : « Je jouissais de la douceur d’avoir auprès de moi un ami, je veux dire un homme qu’il faut compter parmi le très-petit nombre d’hommes vertueux qui seuls connaissent l’amitié dont le reste du monde ne connaît que le nom : c’est M. Thieriot, qui, sur le bruit de ma maladie, était venu en poste de quarante lieues pour me garder, et qui, depuis, ne m’a pas quitté un moment. »