Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 850

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Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 450-452).
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850. — À M. THIERIOT.
Le 10 avril.

J’ai reçu, mon cher ami, le petit écrit imprimé ; je vous remercie bien de ces attentions. La littérature m’est plus chère que jamais. Newton ne m’a point rendu insensible, et vous pouvez me dire avec notre maître Horace :

Quæ circumvolitas agilis thyma ? · · · · · · · · · · · · · · ·

(Lib. I, ép. iii, v. 21.)

Vous devriez bien m’envoyer le discours populaire de Lefranc ; je m’intéresse beaucoup à lui depuis qu’il a fait doublement cocu un intendant. En vérité, cela est fort à l’honneur des belles-lettres ; mais, mon cher ami, cela n’est point à l’honneur des lettres de cachet, et je trouve fort mauvais qu’on exile les gens pour avoir … madame ***.

Vous verrez ci-jointe la lettre[1] d’une bonne âme à Orphée-Rameau sur Zoïle-Castel.

· · · · · · · · · · · · · · · Secretum petimusque damusque vicissim.

(Hor., de Art. poet., v. 11.)

Ce Castel-là est un chien enragé ; c’est le fou des mathématiques, et le tracassier de la société.

Je vous enverrai incessamment la Mérope ; mais, pour Dieu, n’en parlez pas ; n’allez pas aussi vous imaginer que cela soit écrit du ton de Brutus.

Telephus et Peleus, cum pauper et exul uterque,
Projicit ampullas
· · · · · · · · · · · · · · ·

(Hor., de Art. poet., v. 96.)

Dieu garde Zaïre d’être autre chose que tendre ! Dieu garde Mérope de faire la Cornélie ! Flebilis Ino[2]. Vous ne verrez là d’autre amour que celui d’une mère, d’autre intrigue que la crainte et la tendresse, trois personnages principaux, et voilà tout. La plus extrême simplicité est ce que j’aime ; si elle dégénère en platitude, vous en avertirez votre ami.

Je serais bien étonné que mes Éléments de Newton parussent. La copie que j’avais laissée en Hollande était assez informe ; ce qu’ils avaient commencé de l’édition était encore plus vicieux. J’ai averti les libraires de ne se pas presser, de m’envoyer les feuilles, d’attendre les corrections ; s’ils ne le font pas, tant pis pour eux. Deux personnes[3] de l’Académie des sciences ont vu l’ouvrage, et l’ont approuvé. Je suis assez sûr d’avoir raison. Si les libraires ont tort, je les désavouerai hautement.

Monsieur le chancelier a trouvé que j’étais un peu hardi de soupçonner le monde d’être un peu plus vieux qu’on ne dit ; cependant je n’ai fait que rapporter les observations astronomiques de MM. de Louville et Godin. Or, par ces observations, il apparaît que notre pôle pourrait bien avoir changé de place dans le sens de la latitude, et cela assez régulièrement. Or, si cela était, il pourrait à toute force y avoir une période d’environ deux millions d’années ; et si cette période existait, et qu’elle eût commencé à un point, comme, par exemple, au nord, il serait démontré que le monde aurait environ cent trente mille ans d’antiquité, et c’est le moins qu’on pourrait lui donner. Mais je ne veux me brouiller avec personne pour l’antiquité de la noblesse de ce globe ; eût-il vécu cent millions de siècles, ma vie ni la vôtre n’en dureraient pas un jour de plus. Songeons à vivre, et à vivre heureux. Pour moi.

Que les dieux ne m’ôtent rien,
C’est tout ce que je leur demande.

D’ailleurs, quand les hommes seraient encore plus sots qu’ils ne sont, je ne m’en mêlerai point.

Votre petit Basque a bien fait ; mais on avait fait assez mal ici de ne pas le faire venir d’abord. On ne doit jamais manquer l’acquisition d’un homme de mérite.

J’ai l’insolence d’en chercher un pour mon usage. Je voudrais quelque petit garçon philosophe qui fût adroit de la main, qui pût me faire mes expériences de physique ; je le ferais seigneur d’un cabinet de machines, et de quatre ou cinq cents livres de pension, et il aurait le plaisir d’entendre Émilie-Newton, qui, par parenthèse, entend mieux l’Optique de ce grand homme qu’aucun professeur, et que M, Coste[4], qui l’a traduite.

Adieu, Père Mersenne,

  1. Voyez plus haut la lettre 843.
  2. Horace, de Arte poet., 123.
  3. MM. Pitot et Montcarville. Ce dernier n’était pas de l’Académie des sciences.
  4. Pierre Coste, mort en janvier 1747.