Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 925

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Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 558-559).
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925. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Cirey, août.

Monseigneur, Votre Altesse royale me reproche, à ce que dit M. Thieriot, que mes occupations sont plutôt la cause de mon silence que mes maladies. Mais monseigneur, j’ai eu l’honneur d’écrire par M. Plötz et par M. Thieriot. Voici une troisième lettre, et Votre Altesse royale pourra bien ne se plaindre que de mes importunités.

Ceci, monseigneur, n’est ni belles-lettres, ni vers, ni philosophie, ni histoire. C’est une nouvelle liberté que j’ose prendre avec Votre Altesse royale ; je pousse à bout votre indulgence et vos hontes.

J’ai déjà eu l’honneur de dire un mot à Votre Altesse royale[1] ; d’une petite principauté située vers Liège et Juliers ; elle s’appelle Beringen. Elle est composée de Ham et Beringen ; elle appartient au marquis de Trichâteau, par sa mère[2], qui était de la maison de Honsbruck.

Il y a des dettes, Mme du Châtelet, qui a plein pouvoir d’en disposer, voudrait bien que ce petit coin de terre, qui ne relève de personne, pût convenir à Sa Majesté le roi votre père. Cinq ou six cent mille florins que la terre peut valoir ne sont que l’accessoire de cette affaire. Le principal serait que la reine de Saba viendrait sur les lieux, s’il en était temps encore, pour y voir le Salomon de l’Europe, Votre Altesse royale sait si je serais du voyage. C’est bien alors que le pays de Juliers serait la terre promise, où je verrais salutare meum[3]. Je ne sais peut-être ce que je dis, mais enfin j’ai imaginé que la proposition de cette vente étant convenable aux intérêts de Sa Majesté, je ne faisais point en cela un crime de lèse politique, et que les ministres de Sa Majesté ne s’y opposeraient pas si Votre Altesse royale le faisait proposer ou le proposait. Votre Altesse royale est suppliée de se faire d’abord informer de la terre, de ses droits, et du lieu précis où elle est située, car je n’en sais rien.

Je n’entends rien en politique. Je ne m’entends bien que dans les sentiments de zèle, de respect, d’admiration, et j’ai presque dit de tendresse, avec lesquels je suis, etc.

M. et Mme du Châtelet jouissent à présent de cette petite principauté, qui leur a été adjugée ensuite d’une donation qui leur a été faite par le marquis de Trichâteau. Mais ils ne touchent rien du revenu, qu’ils laissent jusqu’à fin de payement des dettes.

  1. Voyez la lettre 915 in fine.
  2. Isabelle-Agnès, baronne de Honsbruck, mariée à Henri-Arnold du Châtelet, marquis de Trichàteau, qui, après lui avoir survécu huit ans, mourut en 1720, laissant de son mariage avec elle Marc-Antoine du Châtelet, marquis de Trichâteau, cité ici par Voltaire. Ce marquis est celui que Mme de Graffigny appelle le vilain petit Trichâteau, dans une de ses premières lettres écrites de Cirey, en décembre 1738, et publiées on 1820. Il était infirme, et il mourut célibataire, au château de Cirey, le 2 avril 1740. (Cl.)
  3. Luc, ii, 30.