Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1039

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 135-136).

1039. — DE M. PRAULT FILS[1].
libraire à paris
à madame de champbonin, à vassy
Paris, le 24 janvier 1739.

Madame, vous savez que c’est à un magistrat connu par sa vertu et son mérite que j’ai l’obligation de connaître M. de Voltaire, dont il est ami. J’ai souhaité pendant longtemps illustrer mon commerce des ouvrages d’un homme que je ne connaissais encore que par les talents de son esprit, et qui depuis m’a si fort attaché à lui par les qualités de son cœur. Ma jeunesse, ma bonne volonté, ma sincérité, titres qui valent toujours auprès de lui, ont achevé ce que la recommandation avait commencé. Depuis ce temps, sa confiance m’a rendu l’instrument de tant d’actions de générosité qu’autant par justice pour lui que par reconnaissance pour celle dont je me suis particulièrement ressenti je me crois obligé d’en rendre partout un témoignage authentique, et de répondre à l’injuste accusation du libelle intitulé la Voltairomanie, que tous les honnêtes gens ne voient qu’avec indignation.

Voici l’histoire des ouvrages de M. de Voltaire depuis que je le connais, et je suis en état de la prouver par des pièces justificatives.

J’ai commencé par imprimer la Henriade avec des corrections considérables ; et M. de Voltaire, en me la donnant, en abandonna le profit à un jeune homme[2] que ses talents lui ont attaché, et à qui il a fait encore présent de sa tragédie de la Mort de César. Il permit dans un autre temps, à un autre libraire, de réimprimer Zaïre, dont le privilège était expiré. Il m’a donné, à moi, ses tragédies Œdipe, Mariamne, et Brutus. J’ai imprimé l’Enfant prodigue : celui qui fut chargé d’en faire le marché m’en demanda un prix si honnête, que, bien loin de contester avec lui, je lui donnai cent francs au-dessus du prix qu’il m’en avait demandé. Quelques jours après, M. de Voltaire m’écrivit qu’il n’exigerait jamais d’argent[3] pour le prix de ses pièces, ni pour aucun autre de ses ouvrages, mais seulement des livres. Enfin il a fait présent de ses Éléments de Newton à ses libraires de Hollande. Peu de temps après, on en a fait une édition sous le titre de Londres ; et je sais que le libraire qui l’avait faite, à l’insu de M. de Voltaire, crut cependant, avant de la faire paraître, lui devoir l’attention de la lui communiquer, et de se soumettre à ses corrections. L’édition en état de paraître. M. de Voltaire en a acheté cent cinquante exemplaires pour faire des présents à Paris, qu’il a payés, et qui lui reviennent, avec la reliure, à près de cent pistoles.

Voilà, madame, ce que les ouvrages de M. de Voltaire lui ont produit ; voilà plutôt de quoi confondre le calomniateur, et vous voyez quelle foi on peut ajouter aux impostures dont son ouvrage est tissu. J’ai l’honneur d’être, avec un très-profond respect, etc.

Prault fils.

  1. Cette lettre est celle qui est mentionnée dans la lettre au chancelier d’Aguesseau, du 11 février 1739, no 1066. C’est à Prault que sont adressées les lettres 834 et 983.
  2. Lamare.
  3. C’est-à-dire pour lui-même. (K.)