Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1040

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 136-137).

1040. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
25 janvier.

Mon cher ami, je travaille le jour à Zulime, et le soir je revois mon procès avec l’honnête homme Desfonlaines,

Vous savez de quoi il est question à présent, vous avez vu ma lettre à M. Hérault. Il n’y a plus qu’un mot qui serve. M. de Meinières[1] peut-il vous dire tout net ce que j’ai à espérer de M. Hérault ? Un outrage pareil, toléré par la magistrature, est un affront éternel aux belles-lettres ; une réparation convenable ferait honneur au ministère.

Suivant vos sages avis, je réforme tout le Mémoire, qui est d’une nécessité indispensable. Point de numéro, de peur de ressembler au Préservatif ; plus de modération, encore plus d’ordre et de méthode ; c’est ce qu’il faut tâcher de faire. Puissé-je dire au public :

Et mea facundia, si qua est,
Quæ nunc pro Domino, pro vobis
Sæpe locuta est !

J’y ajoute un extrait de la lettre d’un prince destiné à gouverner une grande monarchie. Si cela pouvait faire quelque effet, à la bonne heure ; sinon, brûlez-le. Mais, après tout, point d’entreprise sans faveur, point de succès sans protection, et je crois qu’il faut avoir raison de ce scélérat. Je demande que M. Hérault fasse une petite réponse, ou la fasse faire en marge de mes questions.

J’imagine qu’il serait bon que Mme de Bernières m’écrivît un mot qui attestât, en général, l’horreur des calomnies du libelle. Je vous supplie d’en exiger autant de Thieriot. Sa conduite est insupportable ; il négocie avec Cirey ; il s’avise de faire le politique. Il doit savoir qu’en pareil cas la politique est un crime. Il a passé près d’un mois sans m’écrire ; enfin il a fait soupçonner qu’il me trahissait. S’il veut réparer tout cela par un écrit plein de tendresse et de force dans le Pour et Contre, à la bonne heure ; mais qu’il ne s’avise pas de parler du Préservatif ; on ne lui demande pas son avis ; et s’il parle de moi, il faut qu’il en parle avec reconnaissance, attachement, estime, ou qu’il se taise, et, surtout, qu’il ne commette point Mme du Châtelet. Qu’il imprime ou non cette lettre dans le Pour et Contre, il est essentiel qu’il m’envoie un mot conçu à peu près en ces termes : « Le sieur T., ayant lu un libelle intitulé la Voltairomanie, dans lequel on avance qu’il désavoue M. de V., et dans lequel on trouve un tissu de calomnies atroces, est obligé de déclarer, sur son honneur, que tout ce qui y est avancé sur le compte de M. de V. et sur le sien est la plus punissable imposture ; qu’il a été témoin oculaire de tout le contraire, pendant vingt-cinq ans, et qu’il rend ce témoignage à l’estime, à l’amitié et à la reconnaissance qu’il doit à … Fait à… Thieriot. »

S’il refuse cela, indigne de vivre ; s’il le fait, je pardonne. Je vous prie de recommander à mon neveu[2] de faire un bon procès-verbal, si faire se peut. Cela peut servir et ne peut me nuire ; cela tient le crime en respect, prévient la riposte, finit tout.

Ah ! ma tragédie, ma tragédie ! quand te commencerai-je ?

Pardon de tant de misères, mais il y va du bonheur de ma vie, et d’une vie qui vous est dévouée. Mon ange, eripe me a fæce, je n’ai recours qu’à vous.

  1. Jean-Baptiste-François Durey de Meinières (ou Mesnières), président de la seconde chambre des requêtes et beau-frère de René Hèrault, lieutenant gènèral de police. Il épousa, en secondes noces. Octavie Guignard, veuve de l’avocat Bellot, dame connue, sous ce dernier nom, par plusieurs ouvrages. Le président de Meinières est mort le 27 septembre 1785 ; il était né le 21 avril 1705. Voltaire fut en correspondance avec ce magistrat.
  2. Mignot, conseiller correcteur à la chambre des comptes depuis 1737, et mort en juin 1740.