Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1096

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 202-203).

1096. — À M. DE CIDEVILLE.
À Cirey, ce 7 mars.

Mon cher ami, vite un petit mot. Je reçois votre aimable lettre. Je vais vous envoyer le commencement de cet Essai sur le Siècle de Louis XIV. Votre suffrage est toujours le premier que j’ambitionne.

Embrassez pour moi mon confrère de La Noue. On dit que sa pièce est excellente. J’y prends part de tout mon cœur, et par cette raison que la pièce est bonne, et par cette autre raison, si persuasive pour moi, que vous aimez l’auteur. Si vous pouviez l’engager à l’envoyer à l’abbé Moussinot, cloître Saint-Merry, par le coche je l’aurais au bout de sept jours. Ce sont des fêtes pour Cirey : car, quoique entourés de sphères et de compas, nous aimons les beaux vers comme vous. Si la pièce ne vous était pas dédiée, je voudrais qu’elle pût l’être à Mme du Châtelet. Cela pourrait nous lier avec M. de La Noue, quand nous habiterons Paris, Je sais que c’est un garçon très-estimable. Mme du Châtelet ne sait pas un mot de ce que je vous écris ; mais voici mon idée, mon cher ami. Vous savez peut-être que, quand je dédiai Alzire à Mme du Châtelet, quelques personnes murmurèrent, que des hommages publics déplurent à quelques yeux malins ; or, si un étranger lui dédiait une pièce de théâtre, qu’aurait la malignité à dire ? Je vous avoue que je serais enchanté, et que M. de La Noue pourrait compter sur ma reconnaissance ; enfin, s’il est à Rouen, je mets cette négociation entre vos mains.

Mes compliments, je vous prie, à ce jeune chirurgien[1]. Je sais ses quatre prix, et je connais son mérite. J’attends son livre avec une impatience que j’ai pour tous les beaux-arts.

Ce que j’ai entre les mains[2] de l’illustre marquis est toujours au service de mon cher et tendre ami Cideville. Mes lettres sont courtes, mais mes travaux sont longs, et c’est pour vous, ingrat[3] que je travaille ; vous verrez, vous verrez[4]. Mme du Châtelet vous fait les plus sincères compliments.

Adieu, mon très-cher ami. V.

  1. Claude-Mcolas Lecat, né dans l’ancienne province de Picardie le 6 septembre 1700, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, à Rouen. Il remporta, de 1734 à 1738, les premiers prix décernés par l’Académie royale de chirurgie, et publia, vers la fin de 1739, une brochure intitulée Dissertation sur le dissolvant de la pierre, ouvrage dont parle sans doute ici Voltaire, à moins qu’il n’ait voulu faire allusion au Traité des Sens, qui parut peu de temps après la Dissertation. (Cl.)
  2. Les mille écus dus à Voltaire par le marquis de Lézeau. Voyez la lettre 1084.
  3. Les éditeurs ont ajouté après ingrat le mot public (ingrat public), qui n’est pas dans l’original autographe.
  4. Voltaire travaillait en secret à sa tragédie de Mahomet.