Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1116

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 226-227).
1116. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Cirey, ce 26 mars.

Je suis pénétré de vos bontés, mademoiselle. Eh bien ! connaissez-moi donc. Vous croyez que le poison dont mes ennemis répandent des tonneaux sur moi est un poison froid qui glace mon faible génie : non ; il l’échauffe, et je me ranime par leur rage. Zulime a été faite au milieu des mouvements où ils m’ont forcé, et à travers cent lettres à écrire par semaine. La douleur d’être accablé par ceux qui devaient me défendre s’est tournée en sentiments tragiques, et les conseils de M. d’Argental, joints aux vôtres, m’ont fait naître l’envie de donner une tragédie intéressante pour me venger. Le secret n’a point transpiré, et j’attends tous les jours vos leçons. Vous craignez, mademoiselle, que je n’aie pas l’esprit assez libre pour corriger Zulime ! Sachez que j’ai été si impatienté de ne point recevoir vos critiques que j’ai commencé une autre tragédie dans l’intervalle ; sachez qu’il y a quatre actes d’ébauchés. Vous serez terriblement étonnée du sujet ; en un mot, je suis dans vos fers, jouissez de votre victoire, et accablez-moi si vous voulez ; mais apprenez que vous l’avez emporté sur les Bernouilli, les Maupertuis, et les plus grands géomètres de l’Europe qui viennent de partir de Cirey. J’ai fait des vers à leur nez, et j’ai chaussé le cothurne en dépit des machines de l’abbé Nollet, qui remplissent ma galerie. Connaissez donc un peu la vie de votre esclave : ou je souffre ou j’étudie ; et quand mes maladies me persécutent au point de m’empécher de lire, j’ai la ressource des vers. Tous mes moments sont consacrés au travail. Est-il juste qu’une telle vie soit si cruellement persécutée ? Vous me parlez des grimauds qui écrivent contre mes ouvrages. J’ai toujours ignoré les sifflements de ces petits serpents cachés sous terre. Mais je me plains des monstres qui veulent flétrir mes mœurs, et des magistrats qui laissent ces horreurs impunies. Je n’ai jamais répondu à une critique. Mais, en vérité, j’ai l’amour-propre de croire que je méritais d’être un peu autrement traité dans ma patrie. Je vous assure, mademoiselle, que vous me consolez bien de tant de chagrins ; si on me proposait de perdre à la fois mes ennemis et votre suffrage, je n’accepterais pas le marché. Pour que je puisse mériter ce suffrage, dites-moi donc ce que vous trouvez à refaire à Zulime. J’ai, me semble, obéi à une partie de vos ordres ; mais ne vous rebutez point d’en donner, je ne me lasserai point de les suivre. Mme  du Châtelet vous fait ses compliments. J’aurai l’honneur de vous envoyer un Ramire, et vous nous donnerez la merveille des chiens que vous promettez. Adieu, mademoiselle ; vous connaissez mon tendre et sincère attachement pour vous ; je vous aime autant que je vous estime.

Ma foi, ce grand Degouve doit se faire comédien ; débauchez-moi ce grand drôle-là, il ne déclame pas mal, vous me le dégourdirez. Il a été jésuite.