Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1149

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 265-266).

1149. — À M. HELVÉTIUS.
Ce 29 avril.

Mon cher ami, j’ai reçu de tous une lettre sans date, qui me vient par Bar-sur-Aube, au lieu qu’elle devait arriver par Vassy. Vous m’y parlez d’une nouvelle Èpitre[1] : vraiment, vous me donnez de violents désirs ; mais songez à la correction, aux liaisons, à l’élégance continue : en un mot, évitez tous mes défauts. Vous me parlez de Milton ; votre imagination sera peut-être aussi féconde que la sienne, je n’en doute même pas ; mais elle sera aussi plus agréable et plus réglée. Je suis fâché que vous n’ayez lu ce que j’en dis que dans la malheureuse traduction[2] de mon Essai anglais. La dernière édition de la Henriade, qu’on trouve chez Prault, vaut bien mieux ; et je serais fort aise d’avoir votre avis sur ce que je dis de Milton dans l’Essai qui est à la suite du poëme.

« You learn english, for ought I know. Go on ; your lot is to be eloquent in every language, and master of every science. I love, I esteem you, I am yours for ever[3]. »

Je vous ai écrit en faveur d’un jeune homme[4] qui me paraît avoir envie de s’attacher à vous. J’ai mille remerciements à vous faire ; vous avez remis dans mon paradis les tièdes que j’avais de la peine à vomir de ma bouche[5]… Cette tiédeur m’était cent fois plus sensible que tout le reste[6]. Il faut à un cœur comme le mien des sentiments vifs, ou rien du tout.

Tout Cirey est à vous.

  1. C’était probablement l’Épître sur l’Orgueil et la Paresse de l’esprit.
  2. Cette traduction, de l’abbé Desfontaines, parut en 1728, avec le titre d’Essai sur la Poésie épique ; mais Voltaire, traduisant lui-même son premier Essai composé en anglais, le corrigea, l’augmenta, et le divisa en neuf chapitres dont le dernier est consacré à Milton ; voyez tome VIII.
  3. Traduction : Vous apprenez l’anglais, à ce qu’il me parait. Continuez ; votre destin est d’être éloquent dans toutes les langues, et maître dans toutes les sciences. Je vous aime, je vous estime, et je suis à vous pour toujours.
  4. D’Arnaud.
  5. Apocalypse, iii, 16.
  6. Cette phrase, qui semble avoir subi quelque altération, est relative à Thieriot. (Cl.)