Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1176
Mon cher marquis philosophe, quelle étoile nous sépare avant de nous avoir réunis ? Vous êtes encore à Maestricht, comme je le vois par votre lettre du 30 août ; et moi, je pars sur la fin de cette semaine pour aller faire un tour à Paris, où je resterai près de trois semaines. Vous retrouverai-je à mon retour ? Pourrai-je avoir le plaisir de relire vos ouvrages et de revoir l’auteur, que j’aime encore plus qu’eux ?
Vous me demandez si je sais que Milton a fait autre chose que des vers. Vous n’avez donc pas lu ce que j’en dis dans l’article qui le regarde, à la fin de la Henriade ? Pour vous en punir, les Ledet et Desbordes ont ordre de vous présenter leur nouvelle édition, en grand papier, qui m’a paru très-belle.
Permettez-moi, en vous remerciant tendrement de ce que vous avez fait, de vous envoyer encore les pièces ci-jointes que je vous prie de recommander à Paupie. J’ai extrêmement à cœur que des choses si vraies et si authentiques soient publiées, et j’ai un plaisir bien sensible à me voir défendu par vous contre un scélérat.
Les Français deviennent plus Romains que jamais, j’entends Romains du Bas-Empire. Adieu ; j’ai pour vous l’estime que je dois à ceux qui pensent comme les Romains de la république. Je suis ici dans un pays où il n’y a ni Scipions, ni Cicérons ; mais j’y joue au brelan, j’y fais grande chère, et je me dépique avec les plaisirs de l’abandon où je vois ici les lettres. Vale et me ama.
- ↑ Éditeurs, de Cayrol et François.