Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1229

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 366-367).

1229. — À M. L’ABBE MOUSSINOT[1].
Ce 12 janvier (1740).

Je reçois votre lettre du 10, mon cher abbé. J’avais mal daté les miennes, parce que je me servais habilement d’un almanach de l’année passée.

1° À l’égard du sieur Gouvay, j’ai compté que je serais payé ici, en lui faisant signifier à Paris désistement de tout procès. Si ce monsieur chicane, après cela, je renverrai la lettre, que vous ferez payer.

2° À l’égard de la loterie de l’Hôtel de Ville, je crois que j’ai soixante et dix billets, et je ne pense pas être en état d’en prendre davantage. Vous aurez du reste de quoi remplir les mises en argent. D’ailleurs nous avons du temps. Je vous prie seulement de me mander si cette opération prend toujours faveur dans le public.

3° Je vous prie d’envoyer prier Prault fils de passer chez vous, et de lui dire que je vous ai supplié de lui chercher sur-le-champ tout le plus d’argent que faire se pourrait, mais que vous n’en avez pas encore pu trouver. Sachez de lui s’il est vrai qu’on lui ait saisi un petit programme de l’Histoire du siècle de Louis XIV, et quelques autres livres, comment cela s’est fait et pourquoi, et s’il est vrai qu’on les lui ait rendus[2].

En cas qu’on les lui ait rendus, et qu’il ne soit ni dans le besoin ni dans la peine, il ne faut lui rien donner ; mais s’il est vrai qu’on ait fait cette saisie, et qu’il soit réellement pressé (ce que vous pourrez savoir aisément par d’autres), en ce cas je vous prie de lui compter cinq cents livres, dont il vous donnera son reçu : J’ai reçu de M. de Voltaire, par les mains de M…, la somme de cinq cents livres, pour fournitures à lui faites, en attendant que le mémoire que j’ai remis à M. Moussinot soit arrêté.

Vous aurez la bonté d’exiger de lui qu’il vous rende généralement toutes les lettres et papiers qu’il pourrait avoir à moi, aucune n’étant créance.

4° Il est très-certain que je vais travailler à retirer les trois caisses de Bruxelles, mais il est aussi très-certain que c’est de tout point une malheureuse affaire. Collens est pauvre, dérangé, voluptueux et inappliqué ; vous ne reverrez jamais un sou de tout ce qui lui a passé par les mains. Il faut absolument finir avec lui ; mais il n’y a que vous au monde qui le puissiez : il faut lui donner un rendez-vous, le chercher, le trouver, ne le point quitter que vous n’ayez signé avec lui un compromis. Il reste ici pour environ dix-huit cents florins de tableaux sur le pied de l’achat ; il en a emporté environ autant. Il faut donc proposer qu’il vous abandonne en entier la perte et le gain de ces trois caisses. Cela est d’autant plus juste qu’en ce cas, si nous payons encore pour la taxe mille florins, notre part nous reviendra à deux mille huit cents florins : il vous devrait même une indemnité.

Il y a une seconde proposition à lui faire, c’est qu’il vous compte à Paris dix-huit cents florins, et qu’il prenne le tout pour lui. Nous y perdrons ; mais il vaut mieux s’en tirer ainsi que de s’embourber davantage. Ne le quittez pas qu’il n’ait pris un de ces partis, car je prévois depuis longtemps un procès : il voudra me faire payer sa fausse déclaration. En vain il a avoué devant un avocat de Bruxelles que c’était sa faute, en vain l’a-t-il avoué devant M. du Châtelet ; je sais qu’on l’excite à me poursuivre : ainsi il se trouverait que j’aurais prêté plus de dix-huit cents florins, et que j’aurais un procès au bout. C’est la circonstance où je suis avec lui qui me met entièrement hors d’état de lui rien proposer.

C’est à vous, mon cher abbé, à consommer cette affaire ; je vous en prie très-instamment. Eh bien ! j’aurai perdu les frais de votre voyage ; le mal est médiocre, et le plaisir de vous voir ne peut être trop payé. D’ailleurs il y a des occasions où il faut savoir perdre.

Je vous embrasse du meilleur de mon âme.

  1. Édition Courtat.
  2. Voyez la lettre 1218, et la note de la page 354.