Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1247

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 389-391).

1247. — À M. FALKENER[1].
Bruxelle, ce 2 mars[2].

Dear sir, I take the liberty to send you my old follies, having no new things to présent you with. I am now at Bruxelles with the same lady, Mme du Châtelet, who hindered me, some years ago, from paying you a visit at Constantinople, and whom I shall live with in all probability the greatest part of my life, since for thèse ten years I have not departed from her. She is now at the trouble of a damn’d suit in law, that she persues at Bruxelles. We have abandoned the most agreeable retirement in the country, to bawl here in tbe grotto of the flemish chicane.

The high dutch baron who takes upon himself to présent you with this packet of french reveries, is one of the noble players whom the emperor sends into Turky to represent the majesty of the Roman empire before the Highness of the Musulman power.

I am persuaded you are become, now a days, a perfect Turk ; you speak no doubt their language very well, and you keep, to be sure, a pretty harem. Yet I am afraid you want two provisions or ingrédients which I think necessary to make that nauseous draught of life go down, I mean books and friends. Should you be happy enough to have met at Pera with men whose conversation agrees with your way of thinking ? If so, you want for nothing ; for you enjoy health, honours and fortune. Health and places I have not : I regret the former, I am satisfied without the other. As to fortune, I enjoy a very competent one, and I have a friend besides. Thus I reckon myself happy, though I am sickly as you saw me at Wandsworth.

I hope I shall return to Paris with Mme du Châtelet in two years time. If, about that season, you return to dear England by the way of Paris, I hope I shall have the pleasure to see your dear Excellency at her house, which is without doubt one of the finest at Paris, and situated in a position worthy of Constantinople ; for it looks upon the river, and a long tract of land, interspers’d with pretty houses, is to be seen from every window. Upon my word, I would, with all that, prefer the vista of the sea of Marmara before that of the Seine, and I would pass some months with you at Constantinople, if I could live without that lady, whom I look upon as a great man, and as a most solid and respectable friend. She understands Newton ; she despises superstition, and in short, she makes me happy.

I have received, this week, two summons from a french man who intends to travel to Constantinople. He would fain intice me tho that pleasant journey. But since you could not, nobody can.

Farewell, my dear friend, whom I will love and honour all my life time, farewell. Tell me how you fare ; tell me you are happy ; I am so, if yo continue to be so. Yours for ever[3] !

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Et de la main de M. Falkener : Received the first of august.
  3. Traduction : Mon cher monsieur, je prends la liberté de vous envoyer mes vieilles folies, n’en ayant pas de nouvelles à vous offrir. Je suis en ce moment à Bruxelles avec la même Mme du Châtelet, qui m’a empêché, il y a quelques années, de vous rendre visite à Constantinople, et avec laquelle il est probable que je passerai la plus grande partie de ma vie, car depuis dix ans je ne l’ai pas quittée. Elle est maintenant dans les embarras d’un maudit procès qu’elle poursuit à Bruxelles. Nous avons quitté la plus agréable retraite à la campagne, pour venir criailler ici dans l’antre de la chicane flamande.

    Le haut baron hollandais qui se charge de vous transmettre ce paquet de

    rêveries françaises est un de ces nobles acteurs que l’empereur envoie en Turquie pour représenter la majesté de l’empire romain devant Sa Hautesse la puissance musulmane.

    Je suis persuadé que vous êtes devenu, à cette heure, un véritable Turc ; vous

    parlez sans doute la langue à merveille ; vous avez, j’en suis sûr, un joli harem. Cependant je crains qu’il ne vous manque deux provisions ou deux objets qui me semblent indispensables pour faire passer l’amère boisson de la vie, je veux dire des livres et des amis. Seriez-vous assez heureux pour avoir rencontré à Péra des hommes dont la conversation s’accorde avec votre manière de penser ? S’il en est ainsi, il ne vous manque rien, car vous avez de la santé, des honneurs et de la fortune. Moi je n’ai ni santé ni place ; je regrette le premier de ces biens, je me passe volontiers de l’autre. Quant à la fortune, celle que j’ai me suffit, et j’ai de plus un ami. Je me trouve donc heureux, quoique tout aussi souffrant que vous m’avez vu à Wandsworth.

    J’espère retourner à Paris avec Mme du Châtelet dans deux ans. Si vers cette époque vous revenez dans votre chère Angleterre par la route de Paris, j’espère avoir le plaisir de voir Votre chère Excellence à l’hôtel de madame la marquise,

    qui est sans contredit un des plus beaux de Paris et situé dans une position digne de Constantinople, car il a vue sur la rivière, et de toutes les fenêtres on découvre une vaste étendue parsemée de jolies maisons. Sur ma parole, je préférerais malgré tout cela la vue de la mer de Marmara à celle de la Seine, et je passerais quelques mois avec vous à Constantinople, si je pouvais vivre sans cette dame, que je regarde comme un grand homme, comme le plus solide et le plus respectable ami. Elle comprend Newton ; elle méprise la superstition ; en un mot, elle me rend heureux. J’ai reçu, cette semaine, deux sommations d’un Français qui veut aller à Constantinople : il m’aurait entraîné à faire ce charmant voyage ; mais puisque vous n’avez pu m’y décider, personne ne le pourra.

    Adieu, mon cher ami, que j’aimerai et que je respecterai toute ma vie, adieu. Dites-moi comment vous vous portez ; dites-moi que vous êtes heureux ; je le serai, si vous continuez à l’être. À vous pour toujours.