Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1277

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 438-439).

1277. — À MADAME DE CHAMPBONIN.
De Bruxelles.

Mon cher ami gros chat, vous vous divertissez à Paris, car vous n’écrivez point. Mais pourrai-je, moi, vous divertir à mon tour ? On va jouer Zulime, qui pourtant ne vaut pas Mahomet. N’allez donc pas partir de Paris sans avoir vu Zulime. Mais ne pouvez-vous donc point voir un homme plus tendre, plus aimable, plus sûr de son succès que toutes les tragédies du monde ? C’est mon ange gardien, c’est M. d’Argental. C’est lui qui vous dira le sort de Zulime, car il sait bien ce que le public en doit penser. Comme on a son bon ange, on a aussi son mauvais ange ; malheureusement, c’est Thieriot qui fait cette fonction. Je sais qu’il m’a rendu de fort mauvais offices, mais je les veux ignorer. Il faut se respecter assez soi-même pour ne se jamais brouiller ouvertement avec ses anciens amis ; et il faut être assez sage pour ne point mettre ceux à qui on a rendu service à portée de nous nuire. Agissez donc avec ce Thieriot comme j’agis moi-même. Je ne fais point d’attention à son ingratitude ; mais, comme il est assez singulier que ce soit lui qui se plaigne de mon silence, faites-lui sentir, je vous prie, combien il est mal à lui de ne m’avoir point écrit, et de trouver mauvais que je ne lui écrive pas. Ne me compromettez point ; mais informez-moi un peu, mon cher gros chat, de sa conduite et de ses sentiments. Je remets cette négociation à votre prudence, à laquelle je donne carte blanche.

Adieu, ma chère amie, que j’aimerai toujours. J’embrasse votre pleine lune. Quand nous reverrons-nous ? Quand causerons-nous ensemble dans la galerie de Cirey ?