Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1331

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 496-497).

1331. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.
À Bruxelles, le 20 d’août.

Rien ne m’a tant flatté depuis longtemps, monsieur, que votre souvenir et vos ordres. Vous croyez bien que j’ai reçu M. Dumolard[1] comme un homme qui m’est recommandé par vous. Je n’ai pu lui rendre encore que de petits soins, mais j’espère lui rendre bientôt de plus grands services. Il sera heureux si, n’étant pas auprès de vous, il peut être auprès d’un roi qui pense comme vous, qui sait qu’il faut plaire, et qui en prend tous les moyens. Sa passion dominante est de faire du bien, et ses autres passions sont tous les arts. C’est un philosophe sur le trône ; c’est quelque chose de plus : c’est un homme aimable. M. de Maupertuis est allé l’observer ; mais je ne l’envie point. Je passe ma vie avec un être supérieur, à mon gré, aux rois, et même à celui-là. J’ai été très-aise que M. de Maupertuis ait vu Mme du Châtelet. Ce sont deux astres ( pour parler le langage newtonien) qui ne peuvent se rencontrer sans s’attirer. Il y avait de petits nuages qu’un moment de lumière a dissipés.

Pour le livre[2] de Mme du Châtelet, dont vous me parlez, je crois que c’est ce qu’on a jamais écrit de mieux sur la philosophie de Leibnitz. Si les cœurs des philosophes allemands se prennent par la lecture, les Wolffius, les Hanschius[3] et les Thummingius[4] seront tous amoureux d’elle sur son livre, et lui enverront, du fond de la Germanie, les lemmes et les théorèmes les plus galants ; mais je suis bien persuadé qu’il vaut mieux souper avec vous que d’enchanter le Nord ou de le mesurer.

Je prends la liberté de vous envoyer une Èpître[5] au roi de Prusse, que mon cœur m’a dictée, il y a quelque temps, et que je souhaite que vous lisiez avec autant d’indulgence que lui. Si Mme du Deffant, et les personnes avec lesquelles vous vivez, daignaient se souvenir que j’existe, je vous supplierais de leur présenter mes respects. Ne doutez pas des sentiments qui m’attachent à vous pour la vie.

  1. Voyez la note 3 de la page 491.
  2. Les Institutions de physique.
  3. Michel Gottlieb Hansch, cité avec éloge, par de La Lande, dans sa Bibliographie astronomique, années 1709 et 1718.
  4. Louis-Philippe Thumnming, autour d’une Dissertation sur la propagation de la lumière, 1721, in-4o.
  5. Voyez, tome X, l’épitre qui commence par ce vers :
    Quoi ! vous êtes monarque et vous m’aimez encore !