Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1379

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 548-549).

1379. — À M. THIERIOT[1].
Remusberg. 24 novembre 1740.

J’ai reçu, mon cher monsieur, votre lettre du 7 ; je commence par vous dire que je viens de parler à Sa Majesté en présence de M. de Keyserlingk. Les sentiments de ce grand homme sont dignes de ses lumières. Il a dans l’instant réglé tout ce qui vous regarde ; il se réserve le plaisir de vous en faire instruire lui-même.

J’ai tout lieu de croire que Dumolard sera content. Pour moi, je le suis plus que personne d’avoir vécu huit jours auprès d’un homme que tout le monde se disputerait à Paris, et qui n’a nul besoin d’être roi.

M. de Maupertuis est ici, mais il est enfoncé dans ses calculs. Je suis une passade, et j’ai eu l’agrément des coquetteries. Je pars, car c’en est trop que d’avoir quitté huit jours ses anciens amis pour un souverain, quelque aimable qu’il puisse être. M. Algarotti n’est point venu au Marly de Rémusberg ; il fait l’amour à Berlin, et il y fait aussi la vie de César ; le premier emploi n’est pas le pire des deux.

Il n’y a que mes ennemis qui puissent dire que je me porte bien ; je suis tout comme à l’ordinaire : malade, ambulant, poëte, philosopbe, et toujours votre véritable ami.

Votre pension n’est pas mauvaise. Vale.

P. S. Je vous prie de voir M. Gresset ; s’il savait comme j’ai parlé de lui au roi, il m’aimerait un peu. J’espère qu’il sera un des ornements de la cour de Berlin. Il s’apercevra que je connais l’estime pour les talents, et non la jalousie.

Vous savez que Sa Majesté a offert douze mille livres de pension à M. de Maupertuis pour le retenir, et qu’il donne à chaque académicien huit mille livres.

Il fait bâtir un palais, une salle pour les académies, une salle d’opéra, une de comédie ; il engage des artistes de toute espèce, et il a cent mille soldats bien nourris, bien payés et bien vêtus. Vale.

Que les blancs-becs de Paris disent ce qu’ils voudront ; mille compliments au sage Hollandais.

  1. Pièces inédites de Voltaire, 1820.