Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1397

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Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 3-4).

1397. — À M. THIERIOT[1].
Bruxelles, 7 janvier 1741.

J’ai reçu deux lettres de vous en arrivant à Bruxelles, mon cher ami j’y vois votre inquiétude, mais je me flatte encore que le roi de Prusse aura pris lui-même déjà le soin de la calmer. Il n’oublie rien, et il se pique de faire lui seul les petites choses comme les grandes. Il a eu l’attention de donner huit cents francs à Dumolard en partant pour la Silésie, outre son voyage, qui a été payé d’avance par mes mains. Il m’a promis positivement, je vous le répète, une pension pour vous, et sans délai. M. de Keyserlingk y était présent. Regardez la pension comme une chose sûre. Je vous redis encore qu’il veut avoir seul tout l’honneur et tout le plaisir de faire ses grâces. Quand même vous attendriez quelques mois, ce que je ne crois point, n’en ayez pas moins de sécurité. Je n’ai fait que remplir mon devoir quand j’en ai parlé à Sa Majesté. Je n’ai pas eu le plus petit mérite son cœur avait prévenu mes paroles. Ayez confiance en ce que je vous écris je ne peux vous tromper. Soyez en repos, je vous en conjure.

Si vous voyez M. Gresset, faites-lui les compliments sincères d’un homme qui sait aimer ses rivaux, et qui n’a jamais haï que les cœurs ingrats et jaloux. Le roi de Prusse sait comme je lui ai parlé de lui. J’ai entre les mains les témoignages d’estime dont ce monarque l’a honoré. Je ne doute pas qu’il ne soit très-agréablement à sa cour. Il y trouvera des reines et des princesses dont l’extrême politesse et la bonté l’empêcheront peut-être d’imaginer qu’il ne sera pas à Paris. Il verra une très-belle ville, où probablement les arts et les plaisirs régneront, et dont il fera l’agrément. Il verra un roi qui parle comme il écrit. Je n’aurais jamais quitté ce monarque si l’amitié, que je préfère à tous les rois du monde, ne m’avait rappelé à Bruxelles. Le livre de Mme  la marquise du Châtelet doit réussir auprès de tout le monde. Son avant-propos peut être lu par les gens du monde qui n’ont que du goût, et le reste du livre peut instruire des savants. Je ne sais si je m’aveugle, mais de tout ce que j’ai lu sur la philosophie de Leibnitz, voilà sans contredit ce qu’il y a de meilleur.

Vous me ferez un plaisir extrême de me donner quelquefois de vos nouvelles. Vous verrez toujours que les anciens amis sont les meilleurs, et que mon cœur a dans tous les temps mérité quelque attachement du vôtre.

J’ai été un mois en route, et vingt fois près d’être noyé. J’ai une fluxion sur les yeux qui me fait craindre beaucoup.

  1. Pièces inédites de Voltaire,