Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1424

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Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 37).

1424. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
À Bruxelles, ce 1er avril 1741.

On m’a dit, mademoiselle, deux nouvelles auxquelles tout le monde doit également s’intéresser ; que vous êtes malade, et que vous renoncez au théâtre[1]. Pour moi, je m’intéresse plus à votre santé qu’aux plaisirs de Paris ; et, quels que soient vos talents, je crois que vous êtes plus nécessaire encore à la société qu’à la Comédie.

On dit que monsieur votre frère a quitté aussi par dégoût. Il n’y a que des barbares qui puissent décourager les talents. Je plains la Comédie et Paris. Il me semble que les arts n’y sont pas favorablement traités. On sentira du moins votre perte et celle de monsieur votre frère ; voilà comme on en use avec les personnes à grands talents : on les néglige, ou on les persécute quand ils servent on les regrette quand on les a perdus.

Je vois qu’il n’est plus question de Mahomet, et qu’il faut que je renonce pour toujours à un art avec lequel vous m’aviez réconcilié. Tout tend en France à l’extinction totale du bon goût ; mais il subsistera tant que vous vivrez. Donnez-moi, je vous prie, mademoiselle, des nouvelles de votre santé, et croyez que vous n’aurez jamais de serviteur plus véritablement attaché que moi.

  1. Mlle  Quinault la cadette quitta le théâtre le 19 mars 1741, en même temps que Dufresne, son frère.