Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1435
J’ai reçu, monsieur, votre certificat[1] ; mais je vois que l’Académie est neutre, et n’ose pas juger un procès qui me paraît pourtant assez éclairci par vous.
Je crois que la Société royale serait plus hardie, et ne balancerait pas à prononcer qu’en temps égal deux font deux, et quatre font quatre : car, en vérité, tout bien pesé, voilà à quoi se réduit la question.
Franchement, Leibnitz n’est venu que pour embrouiller les sciences. Sa raison insuffisante, sa continuité, son plein, ses monades, etc., sont des germes de confusion dont M. Wolff a fait éclore méthodiquement quinze volumes in-4o, qui mettront plus que jamais les têtes allemandes dans le goût de lire beaucoup et d’entendre peu. Je trouve plus à profiter dans un de vos mémoires que dans tout ce verbiage qu’on nous donne more geometrico. Vous parlez more geometrico et humano.
Ce König, élève de Bernouilli, qui nous apporta à Cirey la religion des monades, me fit trembler, il y a quelques années, avec sa longue démonstration qu’une force double communique en un seul temps une force quadruple. Ce tour de passe-passe est un de ceux de Bernouilli, et se résout très-facilement.
Je suis fâché que mes amis se soient laissé prendre à ce piège, et encore plus de la querelle qui s’est élevée. Mais il ne faut pas gêner ses amis dans leur profession de foi ; et moi, qui ne prêche que la tolérance, je ne peux pas damner les hérétiques. J’ai beau regarder les monades avec leur perception et leur aperception comme une absurdité, je m’y accoutume comme je laisserais ma femme aller au prêche si elle était protestante.
La paix vaut encore mieux que la vérité. Je n’ai guère connu ni l’une ni l’autre en ce monde mais ce que je connais très-bien, c’est l’estime et l’amitié avec laquelle je serai toute ma vie, mon très-cher philosophe, votre, etc.
La première fois qu’on disséquera un corps calleux, mes respects à l’âme qui y loge.
- ↑ Le Rapport sur le Mémoire de Voltaire concernant les forces motrices.