Correspondance de Voltaire/1742/Lettre 1508

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1742
Correspondance : année 1742GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 131-132).

1508. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Camp de Kuttenberg, 20 juin.

Enfin ce Borcke est revenu,
Après avoir beaucoup couru.
Entre les beaux bras d’Émilie
II m’assure vous avoir vu,
Le corps languissant, abattu,
Mais toujours l’esprit plein de vie
Et de cette aimable saillie
Qui vous a rendu si connu,
Depuis ce pays malotru
Jusqu’à Paris votre patrie.

Enfin le vieux Broglie a perdu,
Non pas sa culotte[1] salie
Dont personne n’aurait voulu ;
Mais, brusquement tournant le cu
Devant les Pandours de Hongrie,
Fuyant avec ignominie,
Il perd tout, sans être battu,
Et sous Prague il se réfugie.
Le jeune Louis l’a fait duc
Pour honorer son savoir-faire ;
S’il l’eût été par l’archiduc,
J’entendrais bien mieux ce mystère.

Notre genre de vie est assez différent de celui de Versailles, et plus encore de celui de Remusberg. Aujourd’hui, un ambassadeur est venu me faire des propositions ; hier, il en est parti un chargé de fumée ; et demain, il en arrivera un autre avec du galbanum. On amena hier matin une quarantaine de Talpaches prisonniers, d’ailleurs les plus jolis garçons du monde. Nos housards vont actuellement battre la campagne pour amener des paysans, des chariots, et des vivres ; nous faisons transporter nos blessés et nos malades pour le pays où nous les suivrons bientôt.

Puissiez-vous jouir sans discontinuation d’une santé ferme et vigoureuse ! Puissiez-vous, plus philosophe que vous n’êtes, préférer la solitude de Charlottenbourg aux charmes du palais d’Armide que vous habitez ! Puissiez-vous être le plus heureux des mortels, comme vous en êtes le plus aimable ! Ce sont les souhaits que vous fait un ancien ami du fond de son cœur. Adieu.

Fédéric.

  1. Allusion à quelques chansons fort médiocres qui circulaient alors sur la capitulation de Henri-François, comte de Ségur, à Lintz, le 23 janvier 1742, et la malheureuse campagne de Bohême où de Broglie commandait comme aide-major genéral de l’armée. On prétendait, dans ces chansons, qu’il fallait mettre culotte bas à plusieurs chefs inexpérimentés pour leur donner le fouet ; et la culotte de M. de Broglie n’y fut point oubliée. On lit dans les Fastes de Louis XV, tome Ier, page 155, des couplets faits à la même occasion il y en a un qui commence ainsi :
    Craignant (bis) pour sa culotte,
    Brogho repasse le Rhin ;… (Cl.)