Correspondance de Voltaire/1742/Lettre 1539

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Correspondance de Voltaire/1742
Correspondance : année 1742GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 170-171).

1539. — À M. L’ABBÉ AUNILLON[1].
Octobre.

Allah illah ! allah ; Mohammed rezoul, allah !

Je baise les barbes de la plume du sage Aunillon[2], fils d’Aunillon, resplendissant entre tous les imans de la loi du Christ.

Votre lettre a été pour moi ce que la rosée est pour les fleurs, et les rayons du soleil pour le tournesol. Que Dieu vous couronne de prospérité comme vous l’êtes de sagesse, et qu’il augmente la rondeur de votre face ! Mon cœur sera dilaté de joie, et la reconnaissance sera dans lui comme sur mes lèvres, quand mes yeux pourront lire les doctes pages du généreux iman qui fortifie la faiblesse de mon drame par la force de son éloquence. J’attends avec impatience sa docte dissertation. Mais comme la poste des infidèles est très-chère, et que le plus petit paquet coûte un sultanin, je vous supplie de vouloir bien faire mettre promptement au coche de Bruxelles cet écrit bien ficelé et point cacheté, selon les usages de la peu sublime Porte de Bruxelles. Ce paquet arrivera en six ou sept jours, attendu qu’il n’y a que dix-sept cent vingt-huit stades de la ville impériale de Paris à celle où la divine Providence nous retient actuellement. Que Dieu vous accorde toutes les églantines de Toulouse, et toutes les médailles des Quarante ! Que le bordereau de la Fortune tombe de ses mains entre les vôtres !

Écrit dans mon bouge, sur la place de Louvain[3], affligé d’une énorme colique, le 8 de la lune du neuvième mois, l’an de l’hégire 1122[4].

Si la divine Providence permet que vous voyiez le plus généreux et le plus aimable des enfants des hommes, d’Argental, fils de Ferriol, dont Dieu croisse la chevance, nous vous prions de l’assurer que nous soupirons après l’honneur de le voir avec plus d’ardeur que les adjes ne soupirent après la vue de la pierre noire de Caaba, et qu’il sera toujours, ainsi que sa compagne ornée de grâces, l’objet des plus vives tendresses de notre cœur.

  1. Pierre-Charles Fabiot, plus connu sous le nom d’abbé Aunillon, est mort en 1766, âgé d’environ soixante-seize ans (Cl.)
  2. Il avait écrit à l’auteur une lettre en style oriental, sur la tragédie de Mahomet. M. de Voltaire lui répondit sur le même ton. (K.)
  3. Voltaire demeura d’abord, à Bruxelles, rue de la Grosse-Tour ; il paraît qu’en 1742 il habitait sur la place de Louvain.
  4. Voltaire qui, dans son Histoire de Charles XII (voyez tome XVI, page 280), remarque que l’an 1124 de l’hégire correspond à notre année 1712, aurait dû penser que l’année 1742 correspond à l’an 1155 de l’hégire.