Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1726

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 363-364).

1726. — À MADAME LA MARQUISE DE POMPADOUR[1].

Quand César, ce héros charmant,
De qui Rome était idolâtre,
Battait le Belge ou l’Allemand,
On en faisait son compliment
À la divine Cléopâtre.
Ce héros des amants ainsi que des guerriers
Unissait le myrte aux lauriers ;
Mais l’if est aujourd’hui l’arbre que je révère,
Et, depuis quelque temps, j’en fais bien plus de cas

Que des lauriers sanglants du fier dieu des combats,
Et que des myrtes de Cythère.

Je suis persuadé, madame, que, du temps de ce César, il n’y avait point de frondeur janséniste qui osât censurer ce qui doit faire le charme de tous les honnêtes gens, et que les aumôniers de Rome n’étaient pas des imbéciles fanatiques. C’est de quoi je voudrais avoir l’honneur de vous entretenir avant d’aller à la campagne. Je m’intéresse à votre bonheur plus que vous ne pensez, et peut-être n’y a-t-il personne à Paris qui y prenne un intérêt plus sensible. Ce n’est point comme vieux galant flatteur de belles que je vous parle, c’est comme bon citoyen et je vous demande la permission de venir vous dire un petit mot à Étiolles ou à Brunoi, ce mois de mai. Ayez la bonté de me faire dire quand et où.

Je suis avec respect, madame, de vos yeux, de votre figure, et de votre esprit, le très, etc.

  1. Jeanne-Antoinette Poisson, fille d’un boucher ou d’un paysan, naquit en 1722, et fut mariée au sous-fermier Le Normand, seigneur d’Étiolles. Devenue maîtresse en titre de Louis XV, après la mort de la duchesse de Châteauroux, elle fut créée marquise de Pompadour par lettres patentes de 1745. Mme  de Pompadour régna sur la France en régnant sur le faible Louis XV ; aussi le malin Frédéric, connu par des goûts différents, appelait-il, vers le commencement de 1774, Mmes  de Châteauroux, de Pompadour, et du Barry, Cotillon Ier, Cotillon II, et Cotillon III. (Cl.)

    — C’est à tort qu’on a toujours classé cette lettre à l’année 1747. Elle est de 1745, et les vers faits à propos de la victoire de Fontenoy ont été remaniés depuis. À la place des six derniers, il faut lire :

    Quand Louis, ce héros charmant
    Dont tout Paris fait son idole,
    Gagne quelque combat brillant,
    On doit en faire compliment
    À la divine d’Étiolle.

    À ce moment, Mme  d’Étiolles n’avait pas encore son brevet de marquise de Pompadour. (G. A.)