Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1834

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Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 456-458).

1834. — À M. MULLER[1].
Versailles, 28 junii 1746.

Si longo et gravi morbo non laboravissem, citius tibi et venerandæ imperiali Academiæ quas debeo reddidissem gratias. Semper miratus sum quantam orbi terrarum utilitatem afférent tot nova virorum doctissimorum collegia, quæ quasi communem inter se rempublicam erexerunt a finibus Italiæ usque ad Finlandiæ terminos. Cum inter se dimicent reges, academiæ vinculo sapientiæ unitæ sunt, et cum vesana ambitio tot regna perturbet, tot devastet provincias, amor bonarum artium Anglos, Germanos, Gallos, Italos arcte conjungit et, ut ita dicam, ex omnibus populis selectum unum populum efficit.

Sed præcipue mira semper veneratione prosequar vestram imperialem Academiam, quæ nata est cum Petri Magni imperio, et ædificata cum urbe Petropoli in loco antea Europæ fere ignoto, ubi nec ullum civitatis vestigium, nec rusticorum mapalium erat. Hæc omnia de nihilo creavit magnus ille legislator, et nunc jam novem volumina vestra societate prodierunt in lucem in quibus multa reperiuntur quæ eruditissimos etiam possint erudire, cum nihil de hoc genere in publicum exierit in multis antiquorum et florentibus imperiorum metropolibus.

Exspecto ardentissime decimum volumen, quod cæteris quæ jam teneo et in celeberrima dominae du Châtelet bibliotheca reposita sunt, cum summa voluptate adjungam. Si mea me valetudo patitur adhuc studiis quæ amavi et colui operam dare, in latinam linguam vertam dissertationem quam nuperrime misi anglice scriptam ad regiam Londini Societatem, et italice ad Institutum Bolonianum, quibus illustribus academiis abhinc aliquo annis sum aggregatus. Agitur in hac diatriba[2] de antiquis petrificationibus et conjectis, ut aiunt, ubique stupendarum, quas terrarum orbis dicitur expertus fuisse mutationum monumentis. Hanc tibi, vir eruditissime et celeberrime, mittam latine elaboratam, et meas Academiæ judicio submittam cogitationes. Cæterum nunquam honoris mihi ab Academia conferti immemor ero. Te rogo enixe ut velis sociis tuis omnes animi mei sensus, gratitudinem, venerationem, curam, amorem testificari. Cum essem Berelonini, decreveram usque ad urbem Petri Magni iter facere, et cuncta tanti hominis vestigia et opera intueri, sed præcipue Academiæ et tuorum spectator esse laudum nec mea valetudo, nec temporum opportunitas hac me permiserunt frui voluptate. Nunc magna me consolatio recreat cum me unum e vestris civibus putem.

Vale, et mihi Academiæ gratiam et tuam vitæ meæ ornamentum conserva[3].

  1. Gérard-Frédéric Muller, né en 1705, mort en 1783 ; voyez tome XVI, page 374.
  2. C’est la Dissertation sur les changements arrivés dans le globe, etc., qu’on a vue tome XXIII, page 219.
  3. Traduction : Si je n’avais pas été accablé par une maladie grave et longue, j’aurais exprimé plus tôt les remerciements que je vous dois, ainsi qu’à la respectable Académie impériale. J’ai toujours admiré la grande utilité qu’offrent au monde toutes ces nouvelles associations de savants qui ont en quelque sorte formé parmi elles une république depuis les frontières de l’Italie jusqu’aux confins de la Finlande. Tandis que les rois se combattent, les académies sont unies par le lien de la sagesse ; pendant qu’une cruelle ambition trouble tant de royaumes et dévaste tant de provinces, l’amour des arts unit intimement les Anglais, les Allemands, les Français et les Italiens, et en forme pour ainsi dire un peuple choisi.

    Mais je suis pénétré de respect surtout pour votre Académie impériale, qui est née avec l’empire de Pierre le Grand, et qui a été édifiée avec Saint-Pétersbourg, dans un lieu autrefois presque ignoré de l’Europe, où il n’y avait ni le vestige d’une ville, ni même un village. Ce grand législateur a créé tout cela de rien, et déjà votre société a mis au jour neuf volumes dans lesquels se trouvent beaucoup de choses qui peuvent instruire les plus instruits, attendu qu’en ce genre il n’a rien été publié dans les métropoles florissantes de plusieurs États anciens.

    J’attends avec la plus vive impatience le dixième volume que j’aurai un grand plaisir à réunir aux autres qui se trouvent dans la bibliothèque de Mme  du Châtelet. Si ma santé me permet de me livrer de nouveau aux études que j’aime et que j’ai cultivées, je traduirai en latin une dissertation que j’ai récemment envoyée en anglais à la Société royale de Londres, en italien à l’Institut de Bologne ; academies illustres, qui, depuis plusieurs années, m’ont admis au nombre de leurs membres. Dans ce mémoire il s’agit d’anciennes pétrifications, monuments qui, comme on le dit, sont répandus sur toute la surface de la terre dont ils attestent les changements. Je vous l’enverrai comme à un homme célèbre et érudit, et je soumettrai mes idées au jugement de l’Académie. Au reste, je n’oublierai jamais l’honneur que m’a fait l’Académie ; je vous prie instamment d’informer vos confrères de mes sentiments de reconnaissance, de vénération, d’attachement, et d’amitié. Lorsque j’étais à Berlin, j’avais résolu de me rendre à la ville de Pierre le Grand, et d’y contempler les traces et les créations de ce grand homme, et surtout d’être témoin des éloges qui vous sont dus ainsi qu’à l’Académie ; mais ni ma santé ni le temps ne m’ont permis de jouir de ce plaisir. Maintenant j’éprouve une grande consolation en me considérant comme un de vos concitoyens.

    Adieu ; conservez-moi votre bienveillance et celle de l’Académie, qui embellissent mon existence.