Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1895

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 517-518).

1895. — AU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].

monsieur, le premier président de Rouen me fait l’honneur de me mander qu’il y a apparence que le dépôt de l’édition infâme que j’ai déférée est probablement auprès de Paris, selon l’usage des imprimeurs de Rouen, qui, lorsqu’ils ont fait une édition subreptice, l’envoient dans des magasins sur la route, d’où ils la font entrer dans Paris.

Voici, monsieur, une lettre ci-jointe qui m’arrive de Versailles[2], par laquelle on m’instruit que le nommé Lefèvre, libraire, étaleur à Versailles, vend le tome de la Henriade, qui sert de premier volume à l’édition en douze tomes déférée à la justice du ministère.

Le colporteur qui vend dans Paris à Mme  Doublet et à M. de Bachaumont, aux Filles de Saint-Thomas, leur a vendu un exemplaire de cette édition en douze tomes. J’ai vu cet exemplaire. Je l’ai exactement confronté avec le volume contenant la Henriade, lequel se vend séparément, qui vient du même magasin, qui est imprimé par les mêmes éditeurs, et qui est débité à Versailles, par le nommé Lefèvre, publiquement.

J’ai l’honneur, monsieur, de vous présenter une de ces Henriade que Lefèvre vend. Vous pourriez, je crois, savoir aisément de lui où est le magasin de toute cette édition. Il ne peut refuser de vous dire d’où il tient sa Henriade. Ce livre étant permis, il ne doit point céler d’où il le tire, et, s’il ne l’avoue pas, c’est s’avouer coupable de l’édition scandaleuse dont cette Henriade fait le premier tome.

Je me repose de tout, monsieur, sur votre prudence, sur vos hontés et sur votre justice. Je me flatte que monseigneur le comte de Maurepas voudra bien employer son autorité, et concourir avec vous pour supprimer ce désordre.

Je vous remercie, monsieur, des attentions favorables dont vous avez bien voulu m’honorer dans cette occasion.

  1. Éditeur, Léouzon Leduc.
  2. Elle est de Mme  de Champbonin, amie de Voltaire et de Mme  du Châtelet, et est ainsi conçue :

    « Le libraire Fournier n’a point d’Henriade, mais on la trouve à Versailles chez Lefèvre, autre libraire. Cette Henriade est imprimée de cette année. J’ai eu bien de la peine à déterminer Fournier à me l’enseigner, mais il est sûr que Lefèvre en a plusieurs exemplaires, et qu’il en vendra. »