Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1923

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 541-542).

1923. — À M. D’ARNAUD.
À Lunéville, le 25 octobre.

Mon cher ami, votre lettre sans date me dit que vous m’aimez toujours, et cela ne m’apprend rien ; j’ai toujours compté sur un cœur comme le vôtre. Elle m’apprend que messeigneurs les princes de Wurtemberg m’honorent de leur souvenir. Je vous prie de leur présenter mes profonds respects et mes tendres remerciements, et de ne pas oublier M. de Montolieu.

Il est vrai que je n’écris guère au roi de Prusse. J’attends que j’aie mis Sémiramis au point d’être moins indigne de lui être envoyée ; j’y ai fait plus de deux cents vers à Lunéville. Il y a quelques années[1] que j’envoyai à Sa Majesté l’esquisse de cette pièce ; j’en suis très-honteux et très-fâché. Ce n’est pas un homme à qui on doive présenter des choses informes ; c’est un juge qui me fait trembler. Personne sur la terre n’a plus d’esprit et plus de goût, et c’est pour lui principalement que je travaille. Je ne croyais pas pouvoir passer ma vie auprès d’un autre roi que lui, mais ma déplorable santé a encore plus besoin des eaux de Plombières que de la cour de Lunéville. Je compte aller à Paris au mois de décembre, et vous y embrasser. Si vous n’étiez pas aussi paresseux qu’aimable, je vous prierais de me mander quelques nouvelles de notre pauvre littérature française. Je vous exhorterai toujours à faire usage de votre esprit pour établir votre fortune. Il n’y a rien que je ne fasse pour vous prouver combien la douceur de vos mœurs, votre goût, et vos premières productions, m’ont donné d’espérances sur vous. Je suis très-fâché de vous avoir été jusqu’ici bien inutile.

Voltaire.

Sans compliment et sans cérémonie.

  1. En février 1747 ; voyez les lettres 1860 et 1861.