Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1927

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 546-547).
1927. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Le 10 novembre.

Mais mes anges sont donc au diable ? Que deviendrai-je ? Je n’ai point de leurs nouvelles. Il est trois heures après minuit ; je reprends Sémiramis en sous-œuvre ; je corrige partout, selon que le cœur m’en dit. Spiritus fiat ubi vult[1].

J’ai été confondu d’une lettre par laquelle M. le duc de Fleury me marque qu’il a donné ordre qu’on ne jouât la sottise italienne qu’après que Sémiramis aurait été jouée à Fontainebleau. C’est encore pis que la lettre de M. de Maurepas. J’en rends compte à M. le duc d’Aumont, et je lui demande qu’au moins, si on persiste à renouveler contre moi le scandale des parodies, on attende, pour jouer la farce des Italiens, que les premières représentations des Français soient épuisées ; il me semble qu’on en usait ainsi quand les parodies avaient lieu, et il n’y a rien de plus juste. Les premières représentations de Sémiramis n’ont été interrompues que par le voyage de Fontainebleau, et ne doivent être censées finies qu’après la reprise. Je vous prie d’appuyer ma prière à M. le duc d’Aumont.

Je vous prie aussi d’écrire à Mlle  Dumesnil qu’elle retire tous les rôles, afin que j’y corrige environ cent cinquante vers. Il faudra faire une nouvelle copie et de nouveaux rôles, et je me flatte qu’elle vous remettra les rôles et la pièce. Je vous promets bien que je ne la rendrai pas avant le retour de M. de Richelieu, et que je donnerai aux Catilinistes tout le temps d’être sifflés.

Crébillon s’est conduit d’une manière indigne dans tout ceci, ou plutôt d’une manière très-digne de sa mauvaise pièce de Sémiramis, qui n’a pu même être honorée d’une parodie.

Au reste, mandez-moi, je vous en prie, si vous croyez que ce soit à présent le temps de présenter un placet au roi.

L’établissement de Mme  du Châtelet à Lunéville ne lui permettra guère de partir avant le mois de décembre. J’attends de vos nouvelles pour me décider. Adieu, mes chers anges ; vous êtes mes consolateurs.

  1. Spiritus ubi vult spirat. (Évangile de saint Jean, ch. iii, v. 8.)