Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1936

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 555-556).

1936. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Le 31 décembre.

Je ne suis point étonné de la chute de Catilina[1] ; l’auteur n’avait pas consulté mes anges. Ce n’est pas avec une cabale, c’est avec des amis éclairés et sévères qu’on fait réussir un ouvrage.

Ce que vous me dites, mon cher et respectable ami, me persuade que Catilina ne durera pas longtemps. La cabale veut bien crier, mais elle ne veut pas s’ennuyer, et il n’y a personne qui aille bâiller deux heures pour avoir le plaisir de me rabaisser. Sémiramis est entièrement à vos ordres : elle ne se remontrera que quand vous l’ordonnerez.

Je me conduis, je crois, un peu moins insolemment que Crébillon : il méritait un peu sa chute par tous les petits indignes procédés qu’il a eus avec moi ; par la sottise qu’il a faite de mettre son nom[2] au bas des brochures de la canaille qui le louait à mes dépens ; par l’approbation qu’il a donnée à la parodie ; par la mauvaise grâce avec laquelle il voulait retrancher de mon ouvrage des vers que vous approuviez. On ne peut pas abuser davantage de la misérable place qu’il a de censeur de la police. Sa conduite est cent fois plus mauvaise que celle de sa pièce ; mais je ne dis cela qu’à vous, mes anges.

Je suis bien fâché de l’état languissant où est encore Mme  d’Argental ; je compte lui écrire quand je vous écris. Le digne coadjuteur devrait bien m’envoyer ses remarques sur Catilina. Un plan écrit de sa main, avec cette éloquence que je lui connais, amuserait bien Mme  du Châtelet dans sa solitude. Nous ne revenons qu’après les Rois ; nous aurons le temps de recevoir de vos nouvelles.

Bonsoir, mes chers anges ; je soupire après le moment de vous revoir.

M. de Betz ne marie-t-il pas incessamment sa seconde fille au fils du bon Dieu[3] ?

  1. Tragédie de Crébillon, jouée le 21 décembre 1748 ; voyez tome XXIV, page 359.
  2. Voyez la note 3, page 548.
  3. Ch.-Marie, marquis de Choiseul-Beaupré, né en 1698, connu alors dans la société qu’il fréquentait sous le nom de Choiseul-Bon Dieu. Le comte de Choiseul, son fils, né en 1728, épousa Marie-Françoise Lallemand de Betz, le 10 février 1749. (Cl.)