Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 1975

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Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 20-21).

1975. — DE MADAME LA PRINCESSE D’ANHALT-ZERBST[1].
À Zerbst, ce 25 mai.

Monsieur, je suis trop sensible à la manière obligeante dont vous avez bien voulu vous prêter à la commission hardie dont j’avais osé charger Mme  la comtesse de Bentinck[2], et trop véritablement reconnaissante pour ne pas me porter avec autant d’empressement que de plaisir à vous faire mes remerciements au sujet de la belle inscription et du précieux don que vous avez eu la politesse d’y ajouter ; mais vous n’avez peut-être pas senti, monsieur, ce que vous m’allez imposer par là. Vous me mettez dans l’obligation de former une bibliothèque pour soutenir la réputation de femme lettrée que votre présent me donne ; il y attirera les savants et les personnes de goût, pour consulter ce rare exemplaire de vos œuvres avec la même ardeur qu’on examine un manuscrit de Virgile ou de Cicéron.

Comptez cependant, monsieur, que cet exemplaire du recueil de vos ouvrages, pour n’être pas dans la bibliothèque d’un savant, n’en est pas moins entre les mains d’une personne qui a toujours su admirer les productions de votre plume, et qui saura conserver ce morceau inestimable comme un monument aussi flatteur que glorieux de l’attention d’un des plus grands hommes de notre siècle. Si l’estime, monsieur, qui vous est due à ce titre est un tribut que votre mérite exige, celle que je conserverai pour vous très-particulièrement est propre à me mériter votre amitié, que je vous demande en faveur des sentiments avec lesquels je suis, monsieur, votre tout acquise amie et très-humble servante.

Elisabeth.

  1. Jeanne-Elisabeth de Holstein, née le 24 octobre 1712, et mariée, vers la fin de 1727, à Christian-Auguste d’Anhalt-Zerbst, dont elle eut, le 2 mai 1729, la princesse si fameuse depuis sous le nom de Catherine II. Veuve le 16 mars 1747, elle finit par se retirer en France, et elle mourut à Paris, le 30 mai 1760, plus de deux ans avant que sa fille régnât seule en Russie. (Cl.)

    — La réponse de Voltaire à la lettre ci-dessus est restée inconnue.

  2. Charlotte-Sophie, comtesse d’Altembourg, née en 1715 ; mariée, en 1733, à Guillaume Bentinck, comte du Saint-Empire. S’étant séparée de son mari, cette dame, aimable, spirituelle, mais singulière par son caractère, ne cessa guère de voyager. Voltaire, qui fut en correspondance avec elle, l’appelle signora errante ed amabile, dans sa lettre du 2 septembre 1758 à Algarotti.