Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 2035
Sire, voilà Sémiramis, en attendant Rome sauvée. Je suis très-sûr que Rome sauvée vous plaira davantage, parce que c’est un
tableau vrai, une image des temps et des hommes que vous connaissez et que vous aimez. Votre Majesté s’intéressera aux caractères de Cicéron et de César. Elle regardera avec curiosité ce
tableau que je lui en présenterai ; elle sera empressée de voir s’il y a un peu de ressemblance. Mais il n’en sera pas ainsi avec Sémiramis et Ninias. Je m’imagine que ce sujet intéressera bien
moins un esprit aussi philosophe que le vôtre. Il arrivera tout le contraire à Paris. Le parterre et les loges ne sont point du tout philosophes, pas même gens de lettres. Ils sont gens à sentiment, et puis c’est tout. Vous aimerez la Mort de César ; nos Parisiennes aiment Zaïre. Une tragédie où l’on pleure est jouée cent fois ; une tragédie où l’on dit : Vraiment voilà qui est beau ; Rome est bien peinte ; une telle tragédie, dis-je, est jouée quatre ou cinq fois. J’aurai donc fait une partie de mes ouvrages pour Frédéric le Grand, et l’autre partie pour ma nation. Si j’avais eu le bonheur de vivre auprès de Votre Majesté, je n’aurais travaillé que pour elle. Si j’étais plus jeune, je ferais une requête à la Providence ; je lui dirais : « Fortune ! fais-moi passer six mois à Sans-Souci et six mois à Paris. » V.
- ↑ La lettre 2041 est la réponse à celle-ci.