Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 2034

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Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 80-81).

2034. — À MADAME LA COMTESSE DE MONTREVEL[1].
Le 15 novembre.

Madame, permettez que je remette sous vos yeux le résultat de l’entretien que j’eus l’honneur d’avoir avec vous, il y a deux jours. M. le marquis du Châtelet se souvient que, de plus de quarante mille francs à lui prêtés pour bâtir Cirey et pour d’autres dépenses, je me restreignis à trente mille livres, en considération de sa fortune et de l’amitié dont il m’a toujours honoré ; que, de cette somme réduite à trente mille livres, il me passa une promesse de deux mille livres de rente viagère que lui dicta Bronod, notaire. Vous savez, madame, si j’ai jamais touché un sou de cette rente, si j’en ai rien demandé, et si même je n’ai pas donné quittance, plusieurs années de suite, étant assurément très-éloigné d’en exiger le payement.

Vous n’ignorez pas, madame, et M. du Chàtelet se souvient toujours avec amitié, qu’après avoir eu le bonheur d’accommoder son procès[2] de Bruxelles, et de lui procurer deux cent mille livres d’argent comptant, je le priai de trouver bon que je transigeasse avec lui pour cette somme de trente mille livres, et pour les arrérages dont je n’avais pas donné quittance, et que je touchasse seulement, pour finir tout compte entre nous, une somme de quinze mille livres une fois payée. Il daigna accepter d’un ancien serviteur cet arrangement, qu’il n’eût pas accepté d’un homme moins attaché, et sa lettre est un témoignage de sa satisfaction et de sa reconnaissance. En conséquence, je reçus dix mille livres, savoir : deux mille livres qu’il me donna à Lunéville, et huit mille livres que me compta le sieur de Lacroix à Paris.

Les cinq mille livres restant devaient être employées, par Mme du Châtelet, à mon appartement d’Argenteuil[3] et à l’acquisition d’un terrain, et je remis une quittance générale à Mme du Châtelet.

L’emploi de ces cinq mille livres n’ayant pu être fait, vous voulez que j’en agisse toujours avec M. du Châtelet comme j’en ai déjà usé. J’avais cédé trente mille livres pour quinze mille livres ; eh bien, aujourd’hui, je céderai cinq mille livres pour cent louis, et ces cent louis encore je demande qu’ils me soient rendus en meubles ; et en quels meubles ! dans les mêmes effets qui viennent de moi, que j’ai achetés et payés, comme la commode de Boule, par moi achetée à l’inventaire de Mme Dutort, mon portrait garni de diamants, et autres bagatelles. Je prendrai d’ailleurs d’autres effets que je payerai argent comptant. Vous n’avez as été mécontente de cet arrangement, et je me flatte que M. le marquis du Châtelet m’en saura quelque gré, et qu’il me conserve des bontés qui me sont aussi précieuses que les vôtres. Je fais plus de cas de son amitié que de cinq mille livres. J’ai l’honneur, etc.

  1. Florence du Châtelet, née le 4 avril 1704, mariée, en 1731, au comte de Montrevel (ou Mont-Revel), mort maréchal de camp le 13 janvier 1740. Cette dame était une des sœurs cadettes du marquis du Châtelet, et elle est appelée Monrevel dans la Correspondance de Grimm. (Cl.)
  2. Relativement à l’héritage du marquis de Trichâteau, parent de la famille Honsbruck, citée dans la lettre 925.
  3. À deux lieues de Paris, sur la rive droite de la Seine.