Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2057

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Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 98-99).

2057. — À MADAME LA DUCHESSE DU MAINE.
Paris, janvier.

Ma protectrice, quelle est donc votre cruauté de ne vouloir plus que les pièces grecques soient du premier genre ? Auriez-vous osé proférer ces blasphèmes du temps de M. de Malezieu[1] ? Quoi ! j’ai fait Électre pour plaire à Votre Altesse sérénissime ; j’ai voulu venger Sophocle et Cicéron, en combattant sous vos étendards ; j’ai purgé la scène française d’une plate galanterie dont elle était infectée ; j’ai forcé le public aux plus grands applaudissements ; j’ai subjugué la cabale la plus envenimée ; et l’âme du grand Condé, qui réside dans votre tête, reste tranquillement chez elle à jouer au cavagnole et à caresser son chien ! et la princesse qui, seule, doit soutenir les beaux-arts et ranimer le goût de la nation, la princesse qui a daigné jouer Iphigènie en Tauride[2], ne daigne pas honorer de sa présence cet Oreste que j’ai fait pour elle, cet Oreste que je lui dédie ! Je vous demande en grâce, madame, de ne me pas faire l’affront de négliger ainsi mon offrande. Oreste et Ciceron sont vos enfants ; protégez-les également. Daignez venir lundi[3]. Les comédiens viendront à votre loge et à vos pieds. Votre Altesse leur dira un petit mot de Rome sauvée, et ce petit mot sera beaucoup. Je vais faire transcrire les rôles ; mais il faut que Mme la duchesse du Maine soit ma protectrice dans Athènes comme dans Rome. Montrez-vous ; achevez ma victoire. Je suis un de ces Grecs qui avaient besoin de la présence de Minerve pour écraser leurs ennemis.

Votre admirateur, votre courtisan, votre idolâtre, votre protégé, V.

Je vous demande en grâce de ne venir que lundi.

  1. Voyez tome XXXIII, page 177.
  2. Traduite du grec d’Euripide, par Malezieu.
  3. Sans doute le lundi 19 janvier, jour où Oreste fut très-applaudi.