Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2056

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Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 97-98).

2056. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
Janvier.

Votre courage résiste-t-il à l’assaut que la nature vous livre à présent, comme il a résisté aux mauvaises critiques, à la cabale, et à la fatigue ? Comment vous portez-vous, belle Électre ? Gardez-vous d’écrire jamais votre rôle si dru avec moi ; ce n’est pas là mon compte ; il me faut des espaces terribles. Vous demandez qu’on accourcisse la scène des deux sœurs, au second acte ; cela est fait, sans qu’il vous en coûte rien. J’ai coupé les cotillons d’Iphise, et n’ai point touché à la jupe d’Électre.

Je prie la divine Électre, dont je me confesse très-indigne, de ne point trouver mauvais que j’aie chargé son rôle de quelques avis. Je n’ai point prétendu noter son rôle, mais j’ai prétendu indiquer la variété des sentiments qui doivent y régner, et les nuances des sentiments qu’elle doit exprimer. C’est l’allegro et le piano des musiciens. J’en use ainsi depuis trente ans avec tous les acteurs, qui ne l’ont jamais trouvé mauvais ; et je n’en ai pas certainement moins de confiance dans ses grands talents, dont j’ai été toujours le partisan le plus zélé.

J’oserai en aller raisonner vers les cinq heures avec vous. C’est tout ce qui me reste que de raisonner, et j’en suis bien fâché. Je sens pourtant ce que vous valez, tout comme un autre, et vous suis dévoué plus qu’un autre.