Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2072
Enfin d’Arnaud, loin de Manon,
S’en va, dans sa tendre jeunesse,
À Berlin chercher la sagesse
Près de Frédéric-Apollon.
Ah ! j’aurais bien plus de raison
D’en faire autant dans ma vieillesse.
va donc goûter le bonheur
De voir ce brillant phénomène,
Ce conquérant législateur
Qui sut chasser de son domaine
Toute sottise et toute erreur,
Tout dévot et tout procureur,
Tout fléau de l’engeance humaine.
Il verra couler dans Berlin
Les belles eaux de l’Hippocrène,
Non pas comme dans ce jardin[1]
Où l’art avec effort amène
Les naïades de Saint-Germain,
Et le fleuve entier de la Seine
Tout étonné d’un tel chemin ;
Mais par un art bien plus divin,
Par le pouvoir de ce génie
Qui sans effort tient sous sa main
Toute la nature embellie.
Mon d’Arnaud est donc appelé
Dans ce séjour que l’on renomme !
Et, tandis qu’un troupeau zélé
De pèlerins au front pelé
Court à pied dans les murs de Rome,
Pour voir un triste jubilé,
L’heureux d’Arnaud voit un grand homme.
Grand homme que vous êtes ! que votre dernier songe est joli ! Vous dormez comme Horace veillait. Vous êtes un être unique.
J’enverrai à Votre Majesté, par la première poste, des fatras d’Oreste ; je mettrai ces misères à vos pieds. Une seule de vos lettres, qui ne vous coûtent rien, vaut mieux que nos grands ouvrages, qui nous coûtent beaucoup. Je suis plus que jamais aux pieds de Votre Majesté.
- ↑ Versailles. (Note de Voltaire.)