Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2099

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Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 136-137).

2099. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Compiègne, ce 20 juin.

Pourquoi suis-je ici ? pourquoi vais-je plus loin ? pourquoi vous ai-je quittés, mes chers anges ? Vous n’êtes point mes gardiens, puisque me voilà livré au démon des voyages ;


· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · video meliora, proboque,

Deteriora sequor · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

M. le duc d’Aumont vous écrit sans doute aujourd’hui que Lekain[1] aura son ordre quand il voudra. Je conseille à Mme  Denis de lui faire réciter Hérode, Titus, et Zamore, de le faire crier à tue-tête dans les endroits de débit où sa voix est toujours, jusqu’à présent, faible et sourde. C’est peut-être le défaut le plus essentiel et le plus difficile à corriger. Je voudrais bien qu’il jouât un jour Cicéron[2]. J’espère que je ferai quelque chose d’Aurélie[3] ; mais je me saurai toujours bon gré de n’en avoir pas fait un personnage aussi important que le consul Catilina et César, Elle ne peut avoir que la quatrième place. Les femmes trouveront cela bien mauvais ; mais ma pièce n’est guère française ; elle est romaine. Vous me jugerez à mon retour. Condamnez, si vous voulez, mon travail, mais pardonnez à mon voyage, et obtenez-moi l’indulgence de M. de Choiseul et de M. l’abbé de Chauvelin. Mes chers anges, ne me grondez point ; il me suffit de mes remords. Si vous avez des ordres à me donner, envoyez-les chez moi : on les fera tenir à votre errante créature.

  1. Si l’on en croit Longchamp (Mémoires, article xxvii), ce fut lui qui fit connaître Lekain à Voltaire. D’autres prétendent que ce fut Baculard d’Arnaud, au mois de février 1750, époque où Henri-Louis Lekain, fils d’un orfèvre de Paris, allait accomplir sa vingt-deuxième année. De 1750 à 1778, l’auteur et l’acteur ne cessèrent d’avoir des relations l’un avec l’autre. (Cl.) — Voyez la lettre 2173.
  2. Ce fut La Noue qui joua ce rôle, au grand déplaisir de Voltaire.
  3. Personnage de Rome sauvée.