Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2184

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Correspondance de Voltaire/1751
Correspondance : année 1751, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 241-242).

2184. — À M. LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
À Berlin, ce 5 février.

Je reçois à la fois vos deux lettres, mon cher duc d’Alençon. Vous ignorez peut-être qu’il a plu à la divine Providence de me faire deux niches : l’une par le moyen d’un échappé[1] de l’Ancien Testament, qui a voulu me voler à Berlin cinquante mille livres, et l’autre, par un échappé du Système, nommé André[2], qui s’est avisé de faire saisir tout mon bien, à Paris, pour une prétendue dette de billets de banque qu’il a la mauvaise foi et l’impudence de renouveler juste au bout de trente ans. Il a retrouvé un torche-cul du temps du visa ; il a vendu, sans m’en dire un mot, ce torche-cul à un procureur, et ce procureur me poursuit avec toutes les horreurs de son métier. Voilà le cas où je me trouve, et cette aventure imprévue ne me tourmenterait pas sans vous. Si je peux réussir à plâtrer une trêve avec ce maraud de procureur, je suis à vous sur-le-champ et dans tous les quarts d’heure de ma vie. Quand je dis que je suis à vous, c’est de ma bourse et de mon cœur que je parle : car pour ma présence réelle, n’y comptez pas sitôt. Ni ma santé, ni d’autres raisons, ne peuvent me permettre d’aller à Paris dans le temps que je m’étais prescrit. Aimez-moi, dites aux anges et à ma nièce qu’il faut qu’ils m’aiment. Je n’écris à personne cet ordinaire, pas même à Mme Denis. Ma santé est misérable. Adieu ; je vous embrasse tendrement, mon cher Catilina.

  1. Le juif Hirschell, nommé dans la lettre 2167.
  2. Cet André, dont il est encore question dans la lettre 2198, est peut-être celui pour lequel Voltaire avait fait, vers 1725, un Divertissement à l’occasion d’une fête donnée à Mme de Villars ; voyez tome IX, page 367.