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Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2327

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 367-368).

2327. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Le 30 janvier.

Sire, quant à Pascal, je vous supplie de lire la page 274 du second tome[1], que j’ai eu l’honneur d’envoyer à Votre Majesté, et vous jugerez si sa cause est bonne.

Quant à Mme de Bentinck, elle n’a point de cuisine, et j’en ai une ici et une à Paris.

Quant aux procès et aux tracasseries, je n’en ai qu’avec la maladie cruelle qui me mène au tombeau.

Je vis dans la plus grande solitude et dans les plus grandes souffrances, et je conjure Votre Majesté de ne pas briser le frêle roseau que tous avez fait venir de si loin.

M. de Bielfeld[2] a fait restituer, il y a longtemps, les exemplaires que votre imprimeur[3] avait donnés à un professeur de Francfort-sur-l’Oder. J’étais affligé, avec raison, qu’un autre en eût avant Votre Majesté. Voilà tout le procès et toute la tracasserie.

Est-il possible que la calomnie ait pu aller jusqu’à m’accuser d’un mauvais procédé dans cette affaire ? C’est ce que je ne puis comprendre. L’ouvrage est à moi, comme l’Histoire de Brandebourg est à Votre Majesté, permettez-moi l’insolence de la comparaison. Quel démêlé, quelle discussion puis-je avoir pour une chose qui m’appartient, et qui est entre mes mains ? Que deviendrai-je, sire, si une calomnie si peu vraisemblable est écoutée ? La franchise, qui est le caractère de la capitale de France et le mien, mérite que vous daigniez m’instruire de ma faute si j’en ai fait une ; et, si je n’en ai pas commis, je demande justice à votre cœur.

Vous savez qu’un mot de votre bouche est un coup mortel. Tout le monde dit, chez la reine mère, que je suis dans votre disgrâce. Un tel état décourage et flétrit l’âme, et la crainte de déplaire ôte tous les moyens de plaire. Daignez me rassurer contre la défiance de moi-même, et ayez du moins pitié d’un homme que vous avez promis[4] de rendre heureux.

Vous avez dans le cœur des sentiments d’humanité que vous mettez dans vos beaux ouvrages. Je réclame cette bonté, afin que je puisse paraître devant Votre Majesté avec confiance, dès que mes maux le permettront. Soyez sûr que, soit que je meure ou que je vive, vous serez convaincu que je n’étais pas indigne de vous, et qu’en me donnant à Votre Majesté je n’avais cherché que votre personne.

  1. Voyez tome XV, page 47.
  2. Voyez une note de la lettre 2290.
  3. C.-F. Henning.
  4. Voyez la lettre de Frédéric à Voltaire, du 23 août 1750.