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Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2350

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 391).

2350. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
Berlin, le 18 mars.

Pardon, ma chère nièce ; je griffonne des tragédies et des Siècles, et je suis paresseux d’écrire des lettres. Tout homme a son coin de paresse, et vous avez bien le vôtre ; mais mon cœur n’est point paresseux pour vous. Je vous aime comme si je vous voyais tous les jours, et je charge souvent votre sœur de vous le dire, et d’en dire autant à votre conseiller[1] du grand conseil. J’ai été bien malade cet hiver ; j’ai cru mourir, mais je n’ai fait que vieillir. J’espère reprendre, cet été, des forces pour venir jouir de la consolation de vous voir. J’aurai celle de sortir du château enchanté où je passe la vie la plus convenable à un philosophe et à un malade. Je suis un plaisant chambellan ; je n’ai d’autre fonction que celle de passer de ma chambre dans l’appartement d’un roi philosophe pour aller souper avec lui ; et, quand je suis plus malingre qu’à l’ordinaire, je soupe chez moi. Mon appartement est de plain-pied à un magnifique jardin où j’ai fait quelques vers de Rome sauvée. Il n’y a pas d’exemple d’une vie plus douce et plus commode, et je ne sais rien au-dessus que le plaisir de venir vous voir.

Vous me consolez beaucoup en me disant du bien de votre santé. Nous ne sommes de fer ni vous ni moi ; mais, avec du régime, nous existons, et je vois mourir à droite et à gauche de gros cochons[2] à face large et rubiconde.

Mille compliments à toute votre famille. Je vous embrasse tendrement, et je meurs d’envie de vous revoir.

  1. L’abbé Mignot, nommé membre du grand conseil le 18 mars 1750.
  2. La Mettrie, Rottembourg, et Tyrconnell.