Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2352

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 392-393).

2352. — À M. FALKENER[1].
Berlin, 27 mars.

My dear and beneficent friend, I send to you, by the way of Hamburgh, two enormous bales of the scribbling trade. I direct them to our envoy at Hamburgh, who will dispatch them to you, and put my wares to sea, instead of throwing them into the fire ; which might be the case in France, or at Rome.

My dear friend, I have recourse to your free and generous soul. Some French good patriots, who have read the book, raise a noble clamour against me, for having praised Marlborough and Eugène ; and some good church-men damn me for having turned a little in to ridicule our jansénisme and molinisme.

If our prejudiced people are fools, booksellers and printers or book-jobbers are rogues. I am like to be damned in France, and cheated by the Dutch ; the old german honesty is gone.

Booksellers of all regions are the same. I shall lose all the fruits of my labours and expences ; but I rely on your kindness. You may cause some books to be bound, and choose an honest man, who will give them to the chief-readers of your nation. I entreat you to present His Royal Highness with one of these volumes, and to give some exemplaires or copies to those of your friends you will think it. The bookseller you will choose may do what he pleases with the remainder, and sell them as best as he can, provided he sells them not before Easter ; it is all I require of him.

I beg of you a thousand pardons for so much trouble, and I wish the book may procure you a pleasure equal to my importunities. My ultimatum is then to tease you with the reading of the book ; to beg of you to give one to His Royal Highness the duke, and to your friends ; to commit the rest into the hands of any man you will think proper to choose and to forgive my cumbersome follies. Burn the book, in case you should yawn in reading it ; but do not forget your old friend, who will be attached to you till the day of his doom.

My best respects to your lady, good wishes for your children ; my tender affection and everlasting friendship to you[2].


Voltaire,

  1. Editeurs, de Cayrol et François.
  2. Traduction : Mon cher et obligeant ami, je vous envoie, par la route d’Hambourg, deux énormes ballots de griffonnage à vendre. Je les adresse à notre envoyé d’Hambourg, qui vous les expédiera et mettra mes marchandises à la mer, au lieu de les jeter au feu : ce que sans doute on ne manquerait pas de faire en France ou à Rome.

    Mon cher ami, j’ai recours à votre âme libre et généreuse. Quelques bons patriotes français, qui ont lu mon livre, poussent contre moi de nobles clameurs pour avoir fait l’éloge de Marlborough et d’Eugène ; et quelques bons prêtres me damnent pour avoir un peu tourné eu ridicule notre jansénisme et notre molinisme.

    Si nos gens à préjugés sont des sots, les libraires et les imprimeurs ou courtiers de librairie sont des fripons. Il est vraisemblable que je serai damné en France et dupé en Hollande ; la vieille honnêteté germanique a disparu.

    Les libraires de tous les pays sont les mêmes. Je perdrai tout le fruit de mes travaux et de mes dépenses ; mais je compte sur votre bonté. Vous pourrez faire relier quelques exemplaires, et choisir un honnête homme qui les donnera aux principaux lecteurs de votre nation. Je vous prie de présenter à Son Altesse royale un de ces volumes, et de distribuer quelques exemplaires à ceux de vos amis qu’il vous plaira de choisir. Le libraire que vous prendrez fera ce qu’il voudra du reste, et le vendra de son mieux, pourvu que ce ne soit pas avant Pâques ; c’est tout ce que j’exige de lui.

    Je vous demande mille pardons de tant de peine, et je souhaite que ce livre vous fasse un plaisir égal à mon importunité. Je conclus donc en vous priant de vous ennuyer à lire le livre, d’en donner un à Son Altesse royale et à vos amis, de mettre le reste entre les mains de ceux que vous croiriez capables de juger et de pardonner mes folies importunes. Brûlez le livre, si vous bâillez en le lisant ; mais n’oubliez pas votre vieil ami, qui vous sera attaché jusqu’au jour de son jugement.

    Mes profonds respects à milady, et mes vœux sincères à vos enfants ; ma bien tendre affection et mon éternelle amitié pour vous.