Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2367

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 414-415).

2367. — À MADAME DENIS.
À Potsdam, le 22 avril.

Voilà une plaisante idée qu’a Dumolard de faire jouer Philoctète, en grec, par des écoliers de l’Université, sur le théâtre de mon grenier ! La pièce réussira sûrement, car personne ne l’entendra. Les gens qui font les cabales à Paris n’entendent point le grec.

Je vous apprendrai qu’une héroïne de votre sexe l’entendait ; ce n’est pas Mme  Dacier que je veux dire : elle n’avait l’air ni d’être héroïne, ni d’avoir un sexe ; c’est la reine Elisabeth. Elle avait traduit ce Philoctète de Sophocle en anglais[1].

Vous savez que le sujet de la pièce est un homme qui a mal au pied. Il faudrait prendre un goutteux pour jouer le rôle de Philoctète : le roi de Prusse serait bien votre affaire ; mais, au lieu de crier Aie ! aie ! comme fait le héros grec, admiré en cela par M. de Fénelon, il voudrait monter à cheval et exercer les soldats de Pyrrhus. Il a actuellement la goutte bien serré. Imaginez ce qu’il a pris ; ses bottes ! Son pied s’est enflé de plus belle. Dites à Dumolard qu’il prenne quelque goutteux du collège de Navarre.

On commence actuellement à Dresde une seconde édition du Siècle de Louis XIV, et il faut la diriger : nouvelle peine, nouveau retardement. On m’a envoyé de nouveaux mémoires de tous les côtés ; j’ai eu un trésor : ce sont deux morceaux[2] de la main de Louis XIV, bien collationnés à l’original. Il n’y a pas moyen d’abandonner son édifice quand on trouve des matériaux si précieux. On me flatte que cette édition sera bientôt achevée. J’ai une autre affaire[3] en tête, et que je vous communiquerai à la première occasion.

  1. Fabricius, d’après Cambden, dit qu’Elisabeth avait traduit en latin des morceaux (quædam) de Sophocle et d’Isocrate. Fénelon, dans sa Lettre sur l’éloquence parle, non du Philoctète, mais de l’Œdipe de Sophocle, comme traduit par Elisabeth. (B.)
  2. Voyez tome XIV, pages 484 et 487.
  3. C’était sans doute la tragédie d’Amélie, ou le Duc de Foix, que Voltaire ne tarda pas à faire jouer à Paris.