Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2448

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 501-503).

2448. — À M. ROQUES[1].

Si ceux qui font des critiques avaient votre politesse, votre érudition, et votre candeur, il n’y aurait jamais de guerres dans la république des lettres ; la vérité y gagnerait, et le public respecterait plus les sciences. Je vous remercie très-sincèrement, monsieur, des remarques que vous avez bien voulu m’envoyer sur le Siècle de Louis XIV. Je pourrais bien m’être trompé sur le premier article touchant Phalk Constance, dont vous me faites l’honneur de me parler. Je n’ai ici aucun livre que je puisse consulter sur cette matière ; je n’ai que mes propres mémoires, que j’avais apportés de France, et qui m’ont servi de matériaux. Les autorités n’y sont point citées en marge. Je n’avais pas cru en avoir besoin pour un ouvrage qui n’est point une histoire détaillée, et que je ne regardais que comme un tableau général des mœurs des hommes, et de la révolution de l’esprit humain sous Louis XIV.

Je me souviens bien que je n’ai pas toujours suivi l’abbé de Choisy, dans sa Relation de Siam[2] : c’est un de mes parents, nommé Beauregard, qui avait défendu la citadelle de Bankok, sous M. de Fargue[3], autant qu’il m’en souvient, de qui je tiens l’aventure de la veuve de Constance.

Quant au roi Jacques et à la reine sa femme, ils arrivèrent à Saint-Germain à trois ou quatre jours l’un de l’autre. Ce ne sont point de pareilles dates dont je me suis embarrassé. Je n’ai songé qu’à exposer les malheurs du roi Jacques, la manière dont il se les était attirés, et la magnificence de Louis XIV. Mon objet était de peindre en grand les principaux personnages de ce siècle, et de laisser tout le reste aux annalistes. Quand je suis entré dans les détails, comme aux chapitres des anecdotes et du gouvernement intérieur, je l’ai fait sur mes propres lumières et sur les témoignages des plus anciens courtisans.

Feu M. le cardinal de Fleury me montra l’endroit où Louis XIV avait épousé Mme de Maintenon : il m’assura positivement que l’abbé de Choisy s’était trompé ; que ce n’était pas le chevalier de Forbin, mais Bontemps et Montchevreuil qui avaient assisté comme témoins. En effet, il était naturel que Louis XIV employât dans cette occasion ses domestiques les plus affidés, et le chevalier de Forbin, chef d’escadre, n’était point domestique de ce monarque.

Pour l’article de Descartes, permettez-moi, je vous prie, ce que j’en ai dit. Je n’ai pensé qu’à faire rentrer en eux-mêmes ceux dont le zèle imprudent traite trop souvent d’athées des philosophes qui ne sont pas de leur avis.

Si l’article de feu M. de Beausobre vous intéresse, vous le trouverez, monsieur, dans une nouvelle édition qui va paraître, ces jours-ci, à Leipsick et à Dresde, et que je ne manquerai pas d’avoir l’honneur de vous envoyer. Vous y trouverez deux fragments bien curieux, copiés sur l’original de la main de Louis XIV même.

On s’est trop pressé, en France et ailleurs, d’inonder le public d’éditions de cet ouvrage. Celle qu’on fait actuellement à Dresde est plus ample d’un tiers. Vous y verrez des articles bien singuliers, et surtout le mariage de l’évêque de Meaux[4].

Les offres obligeantes que vous me faites, monsieur, m’autorisent à vous prier de vouloir bien interposer vos bons offices pour arrêter l’édition furtive[5] qui se fait à Francfort-sur-le-Mein. Elle ferait beaucoup de tort à mon libraire Conrad Walther, qui aie privilège de l’empereur : c’est un très-honnête homme. Je ne manquerai pas de l’avertir de l’obligation qu’il vous aura.

Je suis fâché que M. de La Beaumelle, qui m’a paru avoir beaucoup d’esprit et de talent, ne veuille s’en servir, à Francfort, que pour faire de la peine à mon libraire et à moi, qui ne l’avons jamais offensé. Je l’avais connu par des lettres[6] qu’il m’avait écrites de Danemark, et je n’avais cherché qu’à l’obliger. Il m’avait mandé que le roi de Danemark s’intéressait à un ouvrage qu’il projetait ; mais, étant obligé de quitter le Danemark, il vint à Berlin, et il montra quelques exemplaires d’un ouvrage où quelques chambellans de Sa Majesté n’étaient pas trop bien traités. Je me plaignis à lui sans amertume, et j’aurais voulu lui rendre service. Il alla à Leipsick, de là à Gotha ; il est à Francfort, Il n’y fera pas une grande fortune, en se bornant à écrire contre moi ; il devait tourner ses talents d’un côté plus utile et plus honorable. Il avait commencé par prêcher à Copenhague. Il a de l’éloquence, et je ne doute pas que les conseils d’un homme comme vous ne le ramènent dans le bon chemin.

Je suis, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.

  1. Voyez tome XV, page 89. Cette lettre, sans date dans l’édition de Kehl, y est classée au mois d’avril. Elle est datée du 28 octobre dans l’édition de Bâle.
  2. Journal du voyage de Siam fait en 1685 et 1686.
  3. Nommé Desfarges à la page 32 de l’Histoire de M. Constance par Deslandes, 1756, in-8°.
  4. Voyez tome XIV, page 43.
  5. L’édition de La Beaumelle ; voyez tome XV, page 87.
  6. Les réponses de Voltaire à ces lettres sont restées inconnues. (Cl.)