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Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2487

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 544-545).

2487. — À M. FORMEY.

En vérité, monsieur, je ne vous croyais pas Suisse. Un illustre théologien[1] de Bâle écrit que milord Bolinghroke a eu la ch…, et de là il tire la conséquence évidente que Moïse est l’auteur du Pentateuque. On prétend que de bonnes lois et de bonnes troupes ne valent rien, si l’on n’a pas une foi vive pour les dogmes de Zwingle[2] et de Calvin. Or, comme Titus, Marc-Aurèle, Trajan, Nerva, Julien, etc., etc., avaient le malheur de ne croire pas plus à Zwingle qu’au pape, et que cependant tout allait assez bien de leur temps, on a cru à Potsdam ne devoir pas être tout à fait de l’avis du révérend docteur suisse. Le chapelain[3] de milord Chesterfield a pris en bon chrétien la cause de milord Bolinghroke, il l’a défendue dans une lettre pieuse et modeste. La traduction est parvenue ici avec la permission des supérieurs. Le roi a beaucoup ri : faites-en de même. Il paye bien les docteurs, et se moque des disputes théologiques, métaphysiques, phoronomiques, et dynamiques. Soyez très-tranquille, vivez gaiement de l’Évangile et de la philosophie, et laissez les profanes douter de la chronologie de Moïse et des monades. Tâchez de conserver la vôtre ; faites-vous couvrir de poix-résine ; essayez de vous mettre de grandes épingles dans le cul, suivant l’avis de l’auteur des nouvelles Lettres[4]. Tâtez des forces centrifuges, ou plutôt faites-vous embaumer tout vivant, afin de n’attraper que dans sept ou huit cents ans ce point de maturité qui est la mort. Pour moi, si je peux jamais rattraper ma jeunesse, je compte aller faire un tour aux terres australes avec Dalichamp, et disséquer des cervelles de géants hauts de douze pieds, et des hommes velus comme des ours avec des queues de singe. Alors nous saurons des nouvelles positives de la nature de l’âme ; j’exalterai la mienne pour vous prédire l’avenir : car vous savez qu’un peu d’exaltation fait voir le futur comme le passé. Je vous prédis donc que ceux qui tourneront les sottises de ce monde en raillerie seront toujours les plus heureux, et, pour revenir du futur au passé, je vous jure que Démocrite avait raison et qu’Héraclite avait tort. Croyez-moi, ne mettez aux choses que leur prix, et ne prenez point de grosses balances pour peser des toiles d’araignée. Il y a mille occasions où un vaudeville vaut mieux qu’une lamentation de Jérémie.

À propos de chanson, par quelle rage diabolique révoquez-vous en doute la chanson de l’archevêque de Cambrai[5] ? Savez-vous bien que vous êtes un impie d’armer l’incrédulité, qui triomphe tant dans ce siècle pervers, contre une chanson d’un successeur des apôtres ? Je vous dis devant Dieu que le marquis de Fénelon me récita cette chanson à la Haye, en présence de sa femme et de l’abbé de La Ville. Eh ! morbleu ! faites comme l’archevêque de Cambrai ; détrompez-vous de tout.

Adieu ; je ne me porte pas mieux que vous ; le moins malade ira voir l’autre.

  1. J.-J. Zimmermann, né en 1695, mort en 1756.
  2. Le véritable nom est Zwingli. (Cl.)
  3. Ce chapelain est Voltaire lui-même ; voyez, tome XXIII, page 547, la Défense de milord Bolinghroke.
  4. Les Lettres dont Voltaire se moque dans la Diatribe du dortfur Akakia (tome XXIII, page 560).
  5. Voyez tome XV, pages 72 et 140 ; et, tome XXIX, page 253, le neuvième des Fragments sur l’Histoire.