Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2569

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 45).
2569. — À M*** [LE COMTE DE STADION][1].
À Francfort, au Lion-d’Or, 7 juin 1753.

Monsieur, ce matin, le résident de Mayence m’est venu avertir que la plus grande violence était à craindre, et qu’il n’y a qu’un seul moyen de la prévenir : c’est de paraître appartenir à Sa sacrée Majesté impériale. Ce moyen serait efficace, et ne compromettrait personne ; il ne s’agirait que d’avoir la bonté de m’écrire une lettre par laquelle il fût dit que j’appartiens à Sa Majesté ; et que le dessus de la lettre portât le titre qui serait ma sauvegarde. Par exemple, à M. de … chambellan de Sa sacrée Majesté ; et on me manderait dans le corps de la lettre que je dois aller à Vienne sitôt que ma santé le permettra.

Votre Excellence peut être persuadée que si on avait la bonté de m’écrire une telle lettre, je n’en abuserais pas, et que je ne la montrerais qu’à la dernière extrémité.

Je n’ose prendre la liberté de demander cette grâce ; mais si la compassion de Votre Excellence, si celle de Leurs Majestés impériales daignait condescendre à cet expédient, ce serait le seul moyen de prévenir un coup bien cruel. Ce serait me mettre en état de marquer ma sincère reconnaissance, et, encore une fois, on ne serait pas mécontent de m’entendre.

Mais, monsieur, s’il y a le moindre inconvénient aux partis que je propose avec la plus profonde soumission, et avec toute la défiance que je dois avoir de mes idées, s’il n’y a pas moyen de prévenir la violence, je suis sûr au moins que Votre Excellence me gardera un secret dont dépend ma vie ; je suis sûr que Leurs sacrées Majestés ne me perdront pas si elles ne sont pas dans le cas de me protéger.

En un mot, monsieur, j’ai une confiance entière dans l’humanité et dans les vertus de Votre Excellence, et, quelque chose qui arrive, je serai toute ma vie, avec le plus profond respect, monsieur, de Votre Excellence le très-humble et très-obéissant serviteur,


Voltaire.
  1. Beuchot a copié et collationné cette lettre, ainsi que les n° 2586, 2600 et 2626 sur les originaux, qu’il a eus à sa disposition. Les enveloppes qui les avaient contenues n’existaient plus ; mais il est à croire que les lettres 2569, 2600 et 2626, étaient adressées au comte de Stadion ; à la lettre 2626 devaient être joints le Journal que nous donnons à la suite, et la lettre 2586,