Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2641

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 117-118).

2641. — A. MADAME DE FONTAINE[1].
Près de Strasbourg, 31 auguste 1753.

Dans une botte de lettres qu’on me rapporte, et qui ont voyagé comme moi, j’en trouve une de vous, ma chère paresseuse. Vraiment je vois que dans les occasions vous vous mettez en mouvement. Je suis enchanté de vous. Vous avez été à Versailles, vous vouliez aller à Plombières ; vous écrivez, je ne reconnais plus Lisette. Si votre conseiller du grand conseil vous imite, il deviendra un actif personnage. Il y a une distance bien énorme entre la vie des grues et la vie des poules. Vous êtes d’ordinaire un peu poules, mesdames du Marais ; je ne dis pas poules mouillées ; pour moi, j’ai été un peu grue : j’ai voyagé avec mon long cou, et ne m’en suis pas trop bien trouvé, tandis que vous coquetez vous autres tranquillement dans votre poulailler. Franchement, mon cœur, l’aventure de votre sœur a été bien affreuse : elle s’est vue l’héroïne et le martyr de l’amitié ; mais certainement ceux qui l’on traitée avec cette indignité barbare n’ont pas agi en héros, et mériteraient d’être martyrs. Si on avait Iraité ainsi une Anglaise, la nation ne le souffrirait pas ; mais on fait aux Françaises tout ce qu’on veut, et on ne s’en inquiète pas.

Si j’avais cru vous trouver à Plombières, j’y aurais couru, et ne me serais arrêté ni à Mayence, ni chez l’électeur palatin ; mais le temps s’est passé, mes doigts se sont enflés, et me voici à Strasbourg avec des mains un peu trop grosses attachées à des bras fort maigres. Les rois m’ont lutiné, et Dieu me lutine à présent ; j’ai beaucoup de résignation à ces deux puissances.

  1. Pièces inédites de Voltaire, 1820, page 339.