Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2659

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 136-137).

2659. — À M. LE COMTE DE GOTTER[1].

Mme la duchesse de G.[2] m’a instruit de ses bontés et des vôtres : je ne puis que marquer ma surprise et ma reconnaissance. Que puis-je vous dire ? Il y avait autrefois une vieille p…[3] amoureuse comme une folie d’Alcibiade[4], le plus éloquent des Grecs, comme le plus grand capitaine. Un sophiste[5], plus dur qu’un Scythe, homme à idées creuses, brouilla cette pauvre diablesse avec ce beau Grec, qui la renvoya à coups de pied au cul en Arcadie. Elle passa chez une descendante d’Hercule[6], qui tâcha de la consoler, et qui la recommanda à un Grec[7], homme de beaucoup d’esprit. Cet homme fit tout ce qu’il put pour toucher Alcibiade ; mais il ne savait pas que la catin en faveur de laquelle il s’intéressait était un peu ridée. Alcibiade répondit au Grec : « Je sais bien que cette pauvre femme m’aime de tout son cœur ; mais elle n’est plus jolie : il ne s’agit pas de m’aimer, il s’agit de me plaire. — Mais pourquoi lui donner des coups de pied dans le derrière ? lui dit le Grec. — Oh, parbleu ! dit Alcibiade, la voilà bien malade : je lui ai fait cent fois plus de plaisir en ma vie que de mal. »

Sur ce, j’ai l’honneur, etc.

  1. C’est à tort qu’on a toujours daté ce billet de Potsdam.
  2. La duchesse de Saxe-Gotha.
  3. Voltaire lui-même.
  4. Frédéric.
  5. Maupertuis.
  6. La durhesse de Saxe-Gotha.
  7. Gotter, grand maréchal de la maison du roi de Prusse. Voyez la lettre du 1er octobre 1757 à d’Argental.