Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2680

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 155-156).

2680. — À M. G.-C. WALTHER.
Colmar, 13 janvier 1754.

J’ai reçu ce matin votre lettre du 23 décembre, avec le paquet de la prétendue Histoire universelle, imprimée chez Jean Néaulme, à la Haye. Il prétend avoir acheté ce manuscrit cinquante louis d’or d’un domestique de monseigneur le prince Charles de Lorraine. C’est un ancien manuscrit très-imparfait que j’avais pris la liberté de donner au roi de Prusse sur la fin de 1739, dans le temps qu’il était prince royal. Cet ouvrage ne méritait pas de lui être offert ; mais comme il s’occupait de toutes les sortes de littérature, et qu’il me prévenait par les plus grandes bontés, je ne balançai pas à lui envoyer cette première esquisse, tout informe qu’elle était. Il me manda depuis qu’il avait perdu ce manuscrit à la bataille de Sohr, dans son équipage, dont les housards autrichiens s’étaient emparés.

C’est ce manuscrit, très-défectueux par lui-même, qui vient de paraître en Hollande, et dont on a fait deux éditions à Paris. Jamais ouvrage n’a été imprimé d’une manière si fautive. Les omissions, les interpolations mal placées, les fautes de calcul, les noms défigurés, les fausses dates, rendent le livre ridicule. Il est de plus intitulé Abrégé de l’Histoire jusqu’à Charles-Quint, et il ne va que jusqu’au roi de France Louis XI. Tous les autres manuscrits, qui sont en grand nombre, sont beaucoup plus amples et très-différents. J’avais absolument abandonné ce grand ouvrage, parce que j’ai perdu depuis longtemps la partie qui était pour moi la plus intéressante : c’est celle des sciences et des arts. Il me faudrait une année entière pour finir cette grande entreprise, et il faudrait que j’eusse le secours d’une grande bibliothèque comme celle de Paris ou de M. le comte de Bruhl. Il me faudrait encore de la santé. Voilà bien des choses qui me manquent. Je ne sais s’il est de votre intérêt de vous charger d’une nouvelle édition de l’Histoire imparfaite de Jean Néaulme, dont le public est inondé ; mais en cas que vous persistiez dans ce dessein, je vais travailler sur-le-champ à un ample errata : peut-être que les objets intéressants qui sont traités dans cet ouvrage, paraissant avec plus de corrections, vous procureront quelque débit.