Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2707

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 182-183).

2707. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS.
À Colmar, le 3 mars.

Frère, mes entrailles fraternelles, qui s’émeuvent, me forcent à vous saluer en Belzébuth. Je suis dans une ville moitié allemande, moitié française, et entièrement iroquoise, où l’on vous brûla, il y a quelque temps, en bonne compagnie. Un brave iroquois jésuite, nommé Aubert, prêcha si vivement contre Bayle et contre vous que sept personnes chargées du sacrifice apportèrent chacune leur Bayle, et le brûlèrent dans la place publique avec les Lettres juives. Je vous prie de m’envoyer le Bayle qui est dans la bibliothèque de Sans-Souci, afin que je le brûle ; je ne doute pas que le roi n’y consente.

Je me suis arrêté pour quelques mois dans cette ville, parce qu’il y a quelques avocats[1] qui entendent assez bien le fatras du droit public d’Allemagne, et que j’en avais besoin ; d’ailleurs j’ai un bien assez honnête dans la province d’Alsace.

Je vous prie de permettre que je fasse ici mes compliments à frère Gaillard[2] ; je me flatte qu’il vit du bien de l’Église, et assurément il l’a mérité.

Je suis plus frère dolent que jamais. Il y a cinq mois que je ne suis sorti de ma chambre, et je serai frère mourant si vous, ou frère Gaillard, ne faites parvenir au roi ce petit mémoire[3] ci-joint. Sérieusement, frère, il me doit quelque justice et quelque compassion.

Adieu ; gardez-vous des langues de basilic[4], et songez que qui n’aime pas son frère n’est pas digne du royaume où nous serons tous réunis.

  1. M. Dupont, entre autres ; voyez la lettre 2643.
  2. L’abbé de Prades.
  3. Ce petit mémoire était probablement l’avant-dernière pièce (n° 2705).
  4. Langues de basilic est peut-être ici pour langues de vipère, expression de Job, xx, 16.