Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2816

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 287-288).

2816. — À M. DUPONT,
avocat.
À Lyon, au Palais Royal[1], ce 18 novembre.

Me voilà donc, monsieur,


· Lugdunensem rhetor dicturus ad aram ;

(Juvénal, sat. i, v. 44.)


et j’ai quitté la première Belgique pour la première Lyonnaise. Il y a ici deux académies, mais il n’y a point d’homme comme vous ; je vous jure que je vous regretterai partout. J’ai quitté Colmar bien malgré moi, puisque c’est vous qui m’y aviez attiré, et vous pourrez bien m’y attirer encore. Vous trouverez bon que monsieur le premier président et madame entrent beaucoup dans mes regrets ; parlez-leur quelquefois de moi, je vous en prie : je n’oublierai jamais leurs bontés. Je vous supplie encore de vouloir bien dire à M. de Bruges combien je l’estime et combien je le regrette. Je commençais à regarder Colmar comme ma patrie ; il a fallu en partir dans le temps que je voulais m’y établir. C’est une plaisanterie trop forte pour un malade, de faire cent lieues pour venir causer, à Lyon, avec M. le maréchal de Richelieu. Il n’a jamais fait faire tant de chemin à ses maîtresses, quoiqu’il les ait menées toujours fort loin.

Il faut que je vous dise un petit mot de notre affaire concernant l’homologation de l’acte sous seing privé de M. le duc de Wurtemberg. Je pense qu’il faut attendre ; il serait piqué d’une précaution qui marquerait de la défiance. Je vous écrirai quand il sera temps de consommer cette petite affaire, qui d’ailleurs n’éclatera point ; et je tâcherai de conserver ses bonnes grâces. Gardez toujours la pancarte précieusement, aussi bien que celle de Schœpflin. Je fais plus de cas de la première que de la seconde[2], et toutes deux sont bien entre vos mains. Je me flatte que vous me direz te amo, tua tueor ; mais je répondrai, ego quidem non valeo[3].

Adieu, mon cher ami ; mille respects à Mme Dupont. Adieu ; je ne m’accoutume point à être privé de vous. Mme Denis vous fait à tous deux les plus sincères compliments. V,

  1. Du temps de Voltaire, c’était le nom d’une auberge appelée aujourd’hui hôtel, et qui est au coin de la rue du Plat, à Lyon. (B.)
  2. Cette seconde pancarte était probablement une reconnaissance de la somme de 10,000 livres, prêtée à Scbœpflin le jeune par Voltaire, qui lui avait fait présent des Annales de l’Empire. Les mauvaises affaires de cet imprimeur, dont la papeterie (celle de Luttenbach) ne tarda pas à être vendue, ne lui permirent sans doute pas de rembourser son bienfaiteur, au moins en entier. (Cl.)
  3. Pline, épître xi.