Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2850

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 320-321).
2850. — DE M. DUPONT,
avocat.
Du 14 janvier.

Ma foi, monsieur, je suis honteux des peines que je vous donne. Si je vous eusse demandé l’immortalité, ce présent vous aurait moins coûté que ma prévôté.

Vous avez daigné écrire[1] au confesseur du roi ; je ne me serais jamais avisé de cet expédient. C’est intéresser le diable en ma faveur, car un confesseur du roi est un diable en intrigue ; il en a tout le temps. Je fais cependant plus de fond sur la robe rouge que sur le manteau noir, et je compte plus sur le président de La Marche que sur le jésuite. L’un vous servira par goût, et l’autre par politique, à moins que vous n’ayez promis votre pratique au révérend père. En ce cas, l’amour-propre le fera trotter d’importance : car il sait bien qu’il y aurait plus de gloire à être votre confesseur que celui du roi.

Vous craignez que deux cents louis donnés à une dame de Paris ne rompent toutes vos mesures. L’amitié est prévoyante. Eh bien ! s’il le faut, je les donnerai, et, qui plus est, je ferai tout ce que la dame voudra. Est-ce qu’un prévôt de Munster serait moins écouté, sur le chapitre de la galanterie, que l’abbé[2] du lieu ?

Vous êtes modeste en tout, dans les affaires aussi bien que dans les belles-lettres, et vous n’estimez pas votre intercession autant qu’elle vaut. Le voisin de Ripaille me ferait cardinal, s’il l’avait entrepris. Il a été un temps que ce séjour vous aurait valu la papauté. Voilà ce que c’est que de n’ête pas né quelques siècles plus tôt. Voyez ce que votre existence vous coûte. Au surplus, vous n’y perdez que cela : car je connais des ouvrages pour lesquels on a et le respect qu’inspire l’ancienneté, et l’ardeur que donne la nouveauté. N’allez donc pas vous fâcher d’être né tard. La réputation de Virgile et de Tite-Live vaut mieux que tous les bruits qu’ont faits et que feront les papes présents, passés, et futurs.

Ce Mandrin a des ailes, il a la vitesse de la lumière. Vous dites qu’il est à votre porte ; on l’a aux nôtres dans le même temps. M. de Monconseil est nommé général contre lui ; il est parti avant-hier pour le combattre. Je vous manderai le succès de la bataille, si l’on en vient aux mains. En attendant, toutes les caisses des receveurs des domaines sont réfugiées à Strasbourg. Mandrin fait trembler les suppôts du fisc. C’est un torrent, c’est une grêle qui ravage les moissons dorées de la ferme. Le peuple aime ce Mandrin à la fureur ; il s’intéresse pour celui qui mange les mangeurs de gens. Je vous entretiens de babioles, et je vous distrais de vos beaux ouvrages : cela a toujours été mon lot. Je ne me défais pas de ma mauvaise coutume, ni vous de vos belles habitudes, l’humanité et la patience[3].

  1. Voltaire, dans sa lettre du 7 janvier à Dupont, ne lui disait pas : j’écrirai mais j’écrirais, s’il le fallait. Le père Desmarets était alors confesseur de Louis XV.
  2. Il est question de cet abbé vers la fin de la lettre 2660.
  3. Dupont et Colini, dans leur correspondance particulière, ne parlaient pas ainsi de leur bienfaiteur ou de celui qui cherchait à l’être.