Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2862

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 331).
2862. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Prangins, près de Nyon, pays de Vaud, janvier.

Mon cher et respectable ami, j’ai reçu votre lettre du 27 décembre, et toutes vos lettres en leur temps. Toute lettre arrive, et Lambert se moque du monde. Malgré les douleurs intolérables d’un rhumatisme goutteux qui me tient perclus, j’ai songé, dans les petits intervalles de mes maux, à cette tragédie en trois actes, que je n’ai pas l’esprit de l’aire en cinq. J’y ai retranché, j’y ai ajouté, j’y ai corrigé. J’ai tellement appuyé sur les raisons du parti que prend Idamé de préférer sa mort, et celle de son mari, à l’amour de Gengis-kan : ces raisons sont si clairement fondées sur l’expiation qu’elle croit devoir faire de la faiblesse d’avoir accusé son mari ; ces raisons sont si justes et si naturelles qu’elles éloignent absolument toutes les allusions ridicules que la malignité est toujours prête à trouver. Je ne crains donc que les trois actes ; mais je craindrais les cinq bien davantage : ils seraient froids. Il ne faut demander ni d’un sujet ni d’un auteur que ce qu’ils peuvent donner.

J’aimerai jusqu’au dernier moment les arts que vous aimez ; mais comment les cultiver avec succès au milieu de tous les maux que la nature et la fortune peuvent faire ?

Mandez-moi comment je dois vous adresser le troisième acte, que j’ai arrondi, et que j’ai tâché de rendre un peu moins indigne de vos bontés.

Je vous demande pardon de vous avoir importuné de lettres pour Lambert ; mais, en vérité, cet homme est bien irrégulier dans ses procédés, et je vous demande en grâce de lui faire recommander la vertu de l’exactitude.

Mille tendres respects à tous les anges. Mme  Denis se voue au désert avec un grand courage ; elle vous fait les plus tendres compliments.