Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2863

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 331-332).

2863. — À M. DE BRENLES.
À Prangin, 31 janvier.

Non, je ne vous échappe pas. Quand j’habiterais aux portes de Genève, ne viendrais-je pas quelquefois vous voir, et ne daigneriez-vous pas, vous et Mme  de Brenles, venir passer chez nous quelques jours ? Tout est voisinage sur les bords du lac. Vous avez très-bien deviné : la maison qu’on me vend est d’un grand tiers au-dessous de sa valeur au moins[1] ; mais elle est charmante, mais elle est toute meublée, mais les jardins sont délicieux, mais il n’y manque rien, et il faut savoir payer cher son plaisir et sa convenance. Le marché ne sera conclu et signé par-devant notaire que quand toutes les difficultés résultant des lois du pays auront été parfaitement levées, ce qui n’est pas un petit objet. Le conseil d’État donne toutes les facilités qu’il peut donner, mais il faut encore bien d’autres formalités pour assurer la pleine possession d’une acquisition de 90,000 livres. Les paroles sont données entre le vendeur et moi ; j’ai promis les 90,000 livres, à condition qu’on se chargera de tous les frais, et de m’établir toutes les sûretés possibles. Avec tout cela, l’affaire peut manquer ; mille négociations plus avancées ont échoué. Que fais-je donc ? Je me tourne de tous les côtés possibles pour ne pas rester sans maison dans un pays que vous m’avez fait aimer. J’aurai incessamment des réponses touchant les maisons de M. d’Hervart[2]. Je préférerais Prélaz[3], vous n’en doutez point, puisqu’il est dans votre voisinage ; mais nous soupçonnons qu’il n’y a qu’un appartement d’habitable pour l’hiver, et il faut remarquer que nous sommes deux qui voulons être logés un peu à l’aise. Voilà la situation où nous sommes. Il faut absolument que je prévienne l’embarras où je me trouverais si l’on ne pouvait m’assurer à Genève l’acquisition qu’on m’a proposée. Somme totale, il me faut les bords du lac : il faut que je sois votre voisin, et que je vous aime de tout mon cœur. Je n’achète des chevaux que pour venir vous voir, soit de Genève, soit de Vevai, dès que ma santé me permettra d’aller.

Mille respects à Mme  de Brenles : je vous embrasse et vous demande pardon. V.

  1. Celle que Voltaire appela les Délices. Voyez plus bas la lettre 2873.
  2. Nommé dans la lettre du 20 décembre 1754 à de Brenles.
  3. Maison de campagne à une demi-lieue de Lausanne.